L'Eté de 1939 avant l'orage
réalisés de votre côté? demanda-t-il après une pause.
â Rien de concluant encore. Comme à vous, Alfred Côté mâa affirmé que les membres du Parti de lâUnité nationale ne présentaient pas un bien grand danger. Il trouvait ridicule que je les soupçonne dâavoir exécuté une femme dans son salon. Jâai donc demandé à une personne fiable dâexaminer à nouveau toute lâaffaire.
â Vous avez confiance en cet enquêteur?
â Personne à Montréal ne pourrait faire mieux que lui.
Alors sâil nâarrive pas à découvrir la vérité, nous devrons en faire notre deuil.
Les deux verres de whisky vidés, le sujet de conversation épuisé, les deux hommes se séparèrent sur une poignée de main.
Le 16 juillet, dès sept heures et demie du matin, sous les yeux dâune petite foule, pas moins de cent six couples arrivaient lâun après lâautre à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, un très prétentieux modèle réduit de la basilique Saint-Pierre de Rome. à huit heures, M gr Deschamps commençait la célébration de la messe dans un édifice bondé de curieux. La célébration terminée, les futurs mariés marchèrent sous un soleil radieux jusquâà lâhôtel Windsor, où les attendait un copieux petit-déjeuner. Ensuite, sous lâÅil attentif du révérend père Henri Roy, oblat de Marie-Immaculée, lâaumônier de la Jeunesse ouvrière catholique, chacun signait les registres dâétat civil. Pour une fois, la bénédiction suivrait les formalités.
Dans le domicile des Daigle, sur lâavenue de lâÃpée, Nadja se regardait encore une fois dans la glace de lâentrée. La robe blanche décorée de vert tombait bien, les gants de dentelle et les souliers blancs de cuir verni convenaient tout à fait pour la messe, même si celle-ci devait se dérouler dans un stade de baseball.
â Maman, crois-tu que je doive mettre un chapeau? Cela aura lieu en plein air, pas dans une église.
â Justement, parce que câest en plein air, tu porteras un chapeau, avec de larges bords en plus. Et même ce petit châle de gaze si joli pour te protéger les bras.
â Mais il fera au moins quatre-vingt-quinze degrés aujourdâhui! protesta la gamine.
â Et un soleil de plomb. Comme je ne veux pas te voir revenir brûlée au troisième degré, tu vas te couvrir. Et ton père devra répondre du moindre petit dommage à ta peau dâalbâtre.
Lâavocat arrivait à son tour dans lâentrée de la maison. Des mariages ouvriers, même célébrés à la centaine, regroupaient des personnes aux moyens modestes. Afin de ne pas trop attirer lâattention, Renaud avait cherché ses vêtements les plus anciens â sans toutefois se résoudre à endosser ceux qui avaient servi à son travail dâespion. Malgré tout, un panama et des lunettes teintées de vert sâimposaient absolument, malgré leur allure ostentatoire, avec ce soleil.
â Tu es certaine que tu ne veux pas nous accompagner? insista encore une fois Nadja auprès de sa mère. Câest une occasion unique, cela ne se reproduira plus à Montréal.
â Ma belle, tu sais que tes arguments et tes grands yeux gris peuvent convaincre un papa gâteau, mais pas une marâtre comme moi. Alors, rien de ce que tu diras ne mâamènera à passer une grande journée au soleil pour voir le mariage de gens que je ne connais pas.
â Tu nâes pas une marâtre, tu as juste hâte dâaller au cinéma, conclut la fillette en ouvrant la porte pour sortir.
Derrière elle, Renaud sâarrêta auprès de sa femme pour lui faire la bise et demander:
â Tu vas entrer dans le cinéma en cachette et aller espionner le travail dâÃmile alors que celui-ci dort encore?
Comme chaque soir où le dernier film se terminait passé onze heures, lâassistant gérant commençait sa journée de travail tard lâaprès-midi et la finissait à la nuit tombée. Sans doute ronflait-il encore.
â Ce nâest pas moi, lâespion de la famille. Je lui ai téléphoné vendredi dernier afin de lâinviter à partager un repas à la terrasse du Café Pierre . Tu verras
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