L'Eté de 1939 avant l'orage
disposition des couples pour la journée.
â Câest très gentil.
Renaud se rangea le long de la balustrade, chercha dans sa poche un mouchoir afin dâéponger son front, dégoulinant sous son couvre-chef. Le soleil tapait fort sur le pont.
Heureusement, à cette hauteur, le vent apportait un certain soulagement. Le papa poule profitait de la pause pour chercher la première rougeur suspecte sur la peau de sa rouquine.
â Câest gentil, mais ce nâest pas seulement de la gentillesse. Demain, des gens voudront acheter lâune de ces voitures juste parce quâelle a servi à ce mariage. Les actualités filmées montreront des scènes de cette journée dans tous les cinémas dâAmérique du Nord.
Ils arrivèrent enfin à la section du pont Jacques-Cartier où une bretelle donnait accès à lâîle Saint-Hélène. Le premier soin de Renaud fut de trouver de quoi boire, car tous deux suaient à profusion. Dâailleurs, le service ambulancier Saint-Jean devait multiplier les interventions auprès des personnes victimes de coups de chaleur.
Nadja assista à lâarrivée des cent six voitures des jeunes mariés lâappareil photo rivé à lâÅil. La gamine put même croquer en photo un véhicule découvert chargé de plusieurs dizaines de gâteaux de noce. Le long trajet sous le soleil depuis Montréal lui enlevait toutefois toute envie dây goûter.
Des pâtissiers les avaient offerts gratuitement. Même le grand magasin Dupuis Frères sâétait mis de la partie en donnant une boîte de chocolats de marque Madeleine de deux livres à chacun des couples⦠Surtout, le commerce avait obtenu que les journaux fassent état de sa générosité.
Une fois la curiosité de sa fille satisfaite, tous deux cherchèrent une buvette où manger un morceau. Ensuite, après avoir marché un peu dans lâîle sous le couvert des arbres, Renaud proposa:
â Nous pourrions prendre le traversier pour rentrer à Montréal.
â Dâaccord, mais nous retournerons au stade ce soir.
Le ton ne tolérait pas de réplique. En pensant au moment où, très vieux, il attendrait patiemment la visite de son seul enfant lors des interminables dimanches après-midi, Renaud consentit:
â Nous serons au stade à huit heures.
Cette journée figurerait désormais sur lâardoise de Nadja.
Son père réclamerait certainement son dû dans trente ans.
à lâheure dite, le couple père-fille occupait à nouveau un siège dans les dernières rangées du stade Delorimier. Au moins, tous deux avaient pu prendre une douche et se changer. Le spectacle qui les attendait présentait un curieux amalgame de religion et de politique, comme il arrivait souvent au Québec.
Dans un premier temps, le père Ãmile Legeault lut un télégramme de William Lyon Mackenzie King. Le premier ministre commençait par sâexcuser de ne pouvoir être là en personne, puis enchaînait sur des vÅux de bonheur aux jeunes couples. Le maître de cérémonie poursuivit en invitant un homme politique, très présent celui-là , le maire Camillien Houde, à prendre la parole.
Nadja trouva la meilleure parade à son discours assom-mant: elle somnola sans vergogne, la tête appuyée sur lâépaule de son père. Une journée passée au soleil la laissait sans force.
Aussi, malgré des applaudissements nourris tout autour, elle rata le brillant exposé.
Quand le politicien sâéloigna comme à regret des micros, le père Henri Roy lui succéda, plaçant sa péroraison sur le registre religieux. Depuis vingt ans le clergé se désolait de la détérioration des mÅurs dans la belle province. Les grands coupables de cette dégénérescence morale étaient les Ãtats-Unis, leur matérialisme, les moyens de communication de masse sous lesquels ployaient leurs ouailles.
â Nous voulons des jeunes à lââme nette, des jeunes qui, à vingt ans, nâauront pas goûté à toutes les turpitudes du vice et de lâimmoralité. Nous voulons des jeunes purs, des jeunes forts, capables des tâches qui les attendent demain.
à un ecclésiastique en succéda un autre, le père Ãmile Legeault. Renaud secoua légèrement Nadja en lui
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