L'Eté de 1939 avant l'orage
descendit pour leur ouvrir la portière et il entra le premier dans le laboratoire médico-légal. Lâhomme affichait une carrure dâathlète, quelques cicatrices sur le visage et un nez épaté par les nombreux coups reçus. Bien plus, Renaud crut remarquer une bosse sous son aisselle gauche: une arme. Ce gars-là faisait office de garde du corps.
Dans lâimmeuble, le trio fut accueilli par un gardien de nuit émacié, aux yeux inquiets. Le chauffeur lui glissa un billet au creux de la main en ordonnant:
â Surveillez lâentrée, nous ne voulons pas être dérangés.
Où se trouve notre client?
â La porte numéro quatre.
Lors de sa première visite avec le capitaine Tessier, peu après la mort de Ruth Davidowicz, lâavocat nâavait pas remarqué que dans la pièce qui servait de morgue, chacune des portes métalliques portait un petit numéro. Le garde du corps ouvrit lâune dâelles, tira la civière jusquâau milieu de la pièce.
Dâun geste vif, le drap vola. Un corps nu sâoffrait à leurs regards. Une grande incision en forme de «Y» lui décorait la poitrine et le ventre.
â Depuis quelques jours, nous avons parcouru toutes les morgues de la ville, indiqua Bronfman. Aujourdâhui, quelquâun lâa trouvé. Jâavais indiqué à mes hommes cette cicatrice en forme dâétoile, sur lâépaule droite, comme marque distinctive.
â Vous avez accès aux morgues? questionna Renaud.
â Les fonctionnaires touchent des salaires misérables. Un dollar ou deux nous permettent dâouvrir bien des portes.
Sous leurs yeux, Alfred Côté offrait des traits enflés, des chairs dâune couleur grisâtre, malsaine. Il était circoncis. Se pouvait-il quâun Juif ait réussi à infiltrer les nazis montréalais? Après tout, les hommes maigres et bruns de poil abondaient chez les Canadiens français.
â De quoi est-il mort?
â Le médecin affirme que câest une noyade. Il favorise lâhypothèse de lâaccident. Comme le cadavre ne portait aucun papier dâidentité, notre visite fut très opportune: je me chargerai des funérailles. Dès lundi prochain, il serait allé à la fosse commune.
â Regardez ses mains, observa lâavocat en se penchant un peu. La peau est déchirée, puis il y a des hématomes sur les avant-bras.
Cela pouvait être des marques laissées par une bagarre, ou le résultat de la poigne de personnes qui lui avaient tenu la tête sous lâeau.
â Toujours dâaprès le médecin légiste, cela semble être le résultat de ses efforts pour se sauver. Sâaccrocher à une planche, à une bouée, quelque chose du genre. à Sainte-Agathe, vous échappez sans doute à la canicule qui pèse sur Montréal. La température a provoqué une réelle hécatombe, vous savez.
â Je lis les journaux.
Partout à travers lâAmérique du Nord, une chaleur accablante amenait les gens à chercher les plans dâeau afin de se rafraîchir. Comme une minorité de Canadiens français savaient nager, que les piscines publiques ne suffisaient pas à la demande, les lacs, les rivières et le fleuve faisaient des victimes tous les jours.
â Tout de même, je trouve difficile dâimaginer votre dur à cuire vaincu par lâonde, un jour de beau temps. Où le corps a-t-il été trouvé?
â Dans le fleuve, à la hauteur de Repentigny. Allons-nous-en, nous nâavons plus rien à faire ici.
Le chauffeur replaça le drap sur le cadavre, poussa la civière derrière la petite porte métallique. Samuel Bronfman attendit patiemment, puis emboîta le pas à son garde du corps jusquâà la porte dâentrée. Après un dernier salut au gardien de nuit malingre, le trio sâengouffra dans la Cadillac.
â Je me sens responsable de cette mort, commença Renaud. Je suppose que ses camarades chemises noires lui ont fait payer ce prix pour mâavoir introduit parmi eux.
â Voyons, tout ce quâil a fait, câest vous permettre de prendre une carte de membre sous un faux nom et vous conduire à deux assemblées publiques dâArcand. Rien qui mérite une exécution.
â Mais ceci a pu les amener à vérifier son identité,
Weitere Kostenlose Bücher