L'Eté de 1939 avant l'orage
se chargea de sortir tout à fait notre homme de sa somnolence. Juché en haut de la chaire pour le sermon, il commença de sa voix onctueuse:
â Mes très chers frères, mes très chères sÅurs, je ne reconnais plus Sainte-Agathe. Tout le territoire a été envahi par les Juifs. Voyez autour de vous dans la rue: des hommes affublés de costumes ridicules, les cheveux et la barbe longs et sales. Ils ne parlent ni anglais ni français, se promènent en groupe, bloquant le passage aux voitures dans les rues, aux piétons sur les trottoirs. Si vous tentez de vous faufiler, ils vous regardent avec mépris, comme si vous étiez les immigrants et eux les maîtres des lieux. Déjà , ils sont les propriétaires des plus belles maisons aux abords du lac. Ils achètent de grandes surfaces de terrain où, littéralement, ils forment des tribus, comme les Sauvages de lâancien temps.
Dans des termes à peine moins grossiers, Renaud croyait réentendre le discours prononcé à Saint-Faustin par Adrien Arcand, un peu plus de trois semaines plus tôt. Visiblement, les idées du Pontifex Maximus trouvaient un terreau propice chez cet ecclésiastique, comme si ce dernier entendait troquer un pontife pour un autre.
â Vous les voyez aussi fonder des colonies de vacances pour leurs enfants. Ils ont inauguré un cinéma où ils présentent des films américains produits à Hollywood par dâautres Juifs. Ils ouvrent de petits restaurants où nos jeunes vont manger une mauvaise nourriture et écouter de la musique de Nègres et dâIsraélites américains. Leurs femmes se pavanent dans nos rues avec des pantalons si serrés que les coutures menacent de céder. Leurs chemisiers découvrent totalement les bras, la moitié du poitrail. Sur les plages, elles se promènent à demi nues. Non seulement elles sont objets de scandale pour nos garçons, mais nos filles souhaitent imiter leurs tenues immodestesâ¦
â Papa, je veux sortir, prononça Nadja assez fort pour que les personnes occupant les bancs voisins puissent entendre.
Absorbé par le sermon, Renaud nâavait pas fait attention.
La gamine serrait les poings, toute raide, pâle de colère.
â Bien sûr. Moi aussi jâen ai assez de cet imbécile.
Avec ostentation, lâavocat quitta son siège et, sa femme et sa fille sur les talons, se dirigea vers la grande porte à lâarrière du temple. Des dizaines de personnes se retournèrent sur eux, mais personne dâautre ne déserta les lieux. Les centaines de paroissiens et de villégiateurs ne trouvaient pas à redire au fait quâun prêtre profite de la chaire pour se livrer à un discours raciste. Sans doute ne voulaient-ils pas mettre en jeu le salut de leur âme en écourtant leur obligation dominicale.
Le bon évêque en avait presque fini de sa péroraison. La petite famille rata seulement ses recommandations au conseil municipal dâadopter des règlements pour mettre fin à lâinvasion, et à ses ouailles de prendre les choses en main afin de procéder à un «nettoyage ethnique».
â Ce prêtre a le droit de prononcer des paroles semblables? demanda Nadja, une fois dehors.
â Le droit, certainement, il est libre. Cependant, je ne crois pas que cela soit bien. Il profite de son influence pour enseigner la haine.
La fillette marchait la tête basse au moment de rejoindre le Chemin-du-Tour-du-Lac, cherchant des cailloux à faire voler à coups de pied. Son père jugea lâoccasion inopportune pour lui dire de ménager un peu le cuir fraîchement verni de ses chaussures.
â Moi aussi je porte des pantalons. Tu penses que câest immoral?
â Crois-tu vraiment que ton pantalon est moins décent quâune robe avec laquelle tu montrerais ta culotte à tout le monde en jouant?
â Oh papa!
â Mais tu sais que la spécialiste des vêtements féminins, câest ta mère. Alors, je lui laisse le soin de décider de ce qui est convenable ou pas.
Une longue discussion sur la mode féminine, imposée par des hommes pour priver toutes les femmes de leur liberté de mouvement, au jeu ou au travail, viendrait plus tard, dans quelques années. Des Américaines proposaient déjà une mode plus pratique, alors que les curés du Québec sâennuyaient
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