L'Eté de 1939 avant l'orage
former un comité spécial afin de trouver des acheteurs chrétiens pour toutes les maisons et les commerces mis en vente, et des locataires chrétiens pour celles et ceux qui seront offerts en location.
â Quelquâun donne-t-il son appui à la proposition? demanda lâabbé Charland.
Deux ou trois mains se levèrent en même temps, quelquâun fut identifié pour figurer au procès-verbal. Lâauteur de la proposition expliqua:
â Les membres du comité devront être choisis parmi les personnes ayant des relations. Comme cela, dès quâune propriété se retrouvera sur le marché, tout le monde â il voulait dire tous les chrétiens â en sera informé. Lentement, de bons Canadiens reviendront occuper les lieux.
La stratégie avait lâheur de plaire à tous les participants.
Personne ne demanda le vote, le président de lâassemblée put clamer: «Adopté à lâunanimité.» Dans les minutes suivantes, les noms de plusieurs notables furent proposés pour faire partie dâun comité de dix membres. à la fin, quelquâun déclara:
â Je propose Athanase David, notre ancien député.
Comme pour tous les autres, lâabbé Charland demanda:
â Monsieur David, acceptez-vous de faire partie de ce comité?
Renaud perçut comme une hésitation dans la voix de lâecclésiastique, et un soulagement évident sur son visage quand lâintéressé répondit:
â Malheureusement, je dois refuser.
Par la suite, toutes les personnes ayant accepté leur mise en nomination se retrouvèrent élues par acclamation. Si les plus excités, dans cette phalange de militants destinée à nettoyer Sainte-Agathe des indésirables, affichaient leur satisfaction, un petit homme malingre se leva pour demander:
â Pour tout de suite, quelle solution proposez-vous?
â ⦠Que voulez-vous dire? demanda lâabbé Charland après une hésitation.
â Câest bien beau de ne pas accueillir de Juifs dans mon commerce, mais mon restaurant se retrouve à moitié vide certains midis.
â Et même quand on ne refuse pas lâentrée aux Juifs, plusieurs sont retournés à Montréal. Mon magasin a perdu une partie de son chiffre dâaffaires, alors que lâété permet habituellement de faire du profit. Le reste de lâannée, jâopère à perte.
Lâavocat avait reconnu le premier intervenant, le propriétaire du restaurant situé en diagonale du presbytère. Nadja lui avait parlé de la petite affichette «Interdit aux Juifs» qui ornait la porte vitrée de son établissement; il lâavait vue lui-même quelques jours plus tard. Pendant un moment, dâautres commerçants évoquèrent les pertes que leur faisait subir la désertion de plusieurs vacanciers.
Alors que le climat dans la salle devenait morose, lâhomme qui avait proposé la formation du comité se leva de nouveau pour dire:
â Nous pourrions créer une caisse spéciale, afin de venir en aide aux commerçants qui éprouvent des difficultés. Les Juifs utilisent des stratégies de ce genre. Si cela fonctionne pour eux, cela fera des merveilles pour nous, qui sommes si nombreux.
Lâabbé Charland rompit le silence sceptique qui succéda à cette proposition:
â Notre ami a raison. De toute façon, les difficultés ne dureront pas, nous habitons le plus beau village du Québec.
Quand les Juifs auront quitté les lieux, les chrétiens reviendront en masse. Les affaires seront meilleures que jamais. Qui veut apporter sa contribution à la caisse?
Avec un à -propos remarquable, les personnes présentes se perdirent dans la contemplation de leurs chaussures. Faire des déclarations était une chose, porter la main à son portefeuille en était une autre. Très lentement, quelques mains se levèrent. à la fin, presque timidement, Athanase David fit de même.
â Le conseil municipal siège justement ce soir, rappela bientôt quelquâun. Nous devrions nous rendre à lâhôtel de ville toute de suite, afin de communiquer aux élus les résultats de nos délibérations.
Encore une fois, une proposition tombée du ciel venait donner un sens à cette grande soirée. M gr Bazinet, lors du sermon du 23 juillet,
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