L'Eté de 1939 avant l'orage
regard étonné de deux quidams dans un complet mal coupé. Alors que lâinterne haletant levait les deux poings pour adopter la posture du boxeur, Renaud lui retourna la pierre qui avait atterri dans son salon, entourée de son poing bien serré, avec précision: elle heurta sa victime à la bouche, faisant éclater les lèvres et sauter deux dents. Les lunettes de lâinterne volèrent dans les airs.
Lâautre porta les mains à son visage en échappant un grognement, tandis que lâavocat ressentit une vive douleur au poignet. La manipulation de livres de droit lâavait mal préparé au pugilat. Heureusement, les témoins de lâaffrontement prévinrent la tenue dâun second round.
â Holà ! Quâest-ce qui se passe?
Lâun des deux hommes approchait, lâautre cherchait sous son épaule gauche à récupérer son arme.
â Ce type vient de lancer une pierre dans mes fenêtres! déclara Renaud en leur tendant la pièce à conviction.
Lâhomme, qui était en fait un policier, la prit pour la jeter sur le pavé.
â Je crois que vous avez réglé votre compte avec lui.
Tenez-vous à porter plainte en plus?
La scène ne laissait pas de doute dans lâesprit de ces témoins. Un bourgeois haletant dâavoir trop couru, en sous-vêtements sous un peignoir grandement ouvert, dont la ceinture sâétait envolée un bon quart de mille plus tôt, à la poursuite dâun type que des collègues avaient signalé à leur attention au cours de lâaprès-midi après un esclandre à lâaréna.
â Oui, oui, bien sûr je porte plainte. Cela peut attendre à demain matin sans doute? Ma femme et ma fille sont seules à la maison.
â Ãvidemment. Mon collègue va vous reconduire. On ne sait jamais.
Et cela permettrait de vérifier tout de suite son histoire.
Le policier poursuivit:
â Quant à moi, je vais reconduire votre camarade de jeu à la prison municipale. Cela lui permettra de se débarbouiller.
André Blanchet portait toujours son veston blanc de serveur. Du sang en avait souillé tout le devant. Le policier lui saisit le bras pour lâentraîner vers lâhôtel de ville. Quant à Renaud, il rentra chez lui avec le second agent. Sa longue course le laissait exténué, la respiration sifflante, aux prises avec une toux à se cracher les poumons. Le sang lui battait les tempes. Aucun risque quâune armée ne le recrute, la première marche forcée lui ferait faire un infarctus.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes entraient dans la maison. Virginie vint à la porte avec la main droite dans la poche de son peignoir. Son mari devina quâelle serrait la crosse dâun petit revolver de calibre .32.
â Ce policier a voulu me raccompagner. Monsieurâ¦
â Chamberland. Benoît Chamberland.
La jeune femme lui donna la main, chercha une posture qui dissimulait la bosse dans son vêtement. Avoir une arme chez soi était tout à fait légal, mais elle préférait que le policier ne devine pas quâun peu plus et elle la lui aurait pointée sous le nez.
â Comment va Nadja?
â Aussi bien que possible. Elle a une petite coupure au gros orteil. Un débris de verre.
Assise sur un fauteuil, la fillette leva la jambe pour lui montrer le gros pansement. Son courageux matou surveillait lâintrus de son poste dâobservation sous un canapé. Dans la cuisine, le sifflement de la bouilloire lui apprit que Julietta avait entrepris de préparer du thé. La nuit menaçait dâêtre longue.
â Demain, un collègue viendra prendre votre déposition.
â Faut-il garder les choses en lâétat?
â Non⦠Un petit ménage sâimpose. Bonne nuit.
Le policier sortit. Après une semaine à jouer au touriste insomniaque, la manie du curé intolérant commençait à lui tomber sur les nerfs. Encore quelques jours et il pourrait rentrer à Montréal.
â Mais quâest-ce que tu faisais debout au milieu de la nuit? demanda Renaud en venant sâasseoir près de Nadja.
â Je cherchais Georges. Quand je me suis réveillée, il ne se trouvait plus dans mon lit. Je lâai déniché devant la fenêtre.
Sans doute que cet homme se trouvait dans la cour, et mon chat le surveillait.
â
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