L'Eté de 1939 avant l'orage
cléments, accueillait la glace, des tables branlantes et des chaises pliantes permettaient aux estivants de se reposer un peu. Les femmes assises, Renaud alla chercher des limonades pour tout le monde au comptoir improvisé à un bout de la patinoire.
Ce devait être son destin: André Blanchet faisait le service.
Interne épuisé et garçon de table en chômage la veille, le mal de bloc dâun ami lui permettait de ramasser quelques dollars.
â Encore vous! sâécrièrent-ils en même temps.
Une fois la surprise passée, le serveur poursuivit:
â Salaud. Viens dehors que je te règle ton compte.
Le vouvoiement ne pouvait tenir pour une explication virile. Le jeune homme aurait dû être plus attentif aux va-et-vient des hommes taciturnes en complet mal taillé: deux dâentre eux se tenaient non loin, un moment plus tard notre militant de choc se voyait une nouvelle fois réduit au chômage.
Quelques minutes plus tard lâavocat apportait des boissons à ses compagnes, évoquait à mots couverts sa mauvaise rencontre avec la plus âgée.
â Vous devez être destinés à devenir les plus grands amis du monde, pour que vos rencontres se multiplient à ce rythme.
Le ton gouailleur dissimulait mal son inquiétude. Après un moment, la famille réintégrait la grande maison de campagne.
â Tu es toujours résolue à rentrer dans la grande ville cette semaine? questionna lâavocat.
â Assez tergiversé: nous en parlons depuis deux semaines. Cela me paraîtra à la fois plus calme et plus sécuritaire que la campagne.
â Nadja, quâest-ce que tu en dis? Nous rentrons?
â Ãa mâest égal.
La gamine faisait une rechute. Les parents échangèrent un regard.
Le reste de la journée fut consacré à préparer les valises.
Julietta commença à récurer la cuisine, résolue à laisser les lieux plus propres quâelle les avait trouvés. La soirée sâécoula à contempler les eaux du lac, puis tout le monde monta à lâétage.
Si Renaud sâendormit sans trop de mal, des pas pourtant légers dans lâescalier le tirèrent de son sommeil. Se lever sans bruit et revêtir son peignoir ne prit quâun instant. Avec le clair de lune, il put consulter le réveille-matin sur la table de chevet: deux heures. Lâhomme commençait à descendre quand un fracas de verre brisé, un cri aigu et un miaulement retentirent tous ensemble.
Ce fut en enjambant les marches quatre par quatre, au risque de se casser le cou, quâil dévala lâescalier. Un coup sur les commutateurs permit de faire la lumière. Une pierre ronde, grosse comme le poing dâun enfant, gisait au milieu du salon parmi les débris de verre brisé.
â Papa, je me suis coupé le pied.
La fillette tenait son matou dans ses bras. Elle avait dû se réveiller et, incapable de se rendormir, était partie à la recherche de son fidèle confident.
â Ne bouge pas. Maman va venir sâoccuper de toi.
Le «Quâest-ce qui se passe» inquiet et les bruits de pas témoignaient que Virginie serait là dans quelques secondes.
Renaud ramassa le caillou sur le plancher et se précipita vers la porte. Au milieu de la cour en pantoufles, un peignoir attaché de travers sur le dos, il cherchait dans les fourrés lâauteur du forfait. La pleine lune donnait une allure fantomatique aux environs. Tout à coup, une ombre se détacha de derrière un buisson pour détaler au milieu du Chemin-du-tour-du-Lac.
Sans réfléchir, lâavocat se précipita à ses trousses. Sa grande foulée, et des semaines à ramer et à chevaucher, lui permirent de maintenir la distance qui le séparait de sa proie.
Surtout, une peur rétrospective pour sa fille lui donna des ailes. La traque se poursuivit jusquâà la rue Saint-Vincent, sâorienta en direction de la rue Principale. Deux hommes déambulaient sur le trottoir, leurs cigarettes allumant de petites lucioles dans lâobscurité. Le fuyard ralentit quand il se trouva à leur hauteur, permettant au chasseur de le rejoindre. Il se retourna juste au moment où Renaud arrivait à sa portée.
â Blanchet!
Finalement le rendez-vous viril aurait lieu en pleine nuit, dans le faisceau dâune lumière de rue, sous le
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