L'Eté de 1939 avant l'orage
opposé un refus absolu quand elle lui avait demandé de lâaccompagner dans les sous-bois. Après tout, à la veille dâentrer au collège classique, elle pouvait certainement galoper quelques heures sans son paternel.
Le train avait pénétré dans la gare du Canadien National, rue Bonaventure, en fin dâaprès-midi. Avant de monter dans un taxi, Renaud prit le temps dâacheter les journaux de la fin de semaine dans un kiosque. En première page, en très gros caractères, un titre signalait la mobilisation générale de la Belgique. En page deux, lâavocat apprit que le maire Camillien Houde profiterait de la tenue dâun concert en plein air au parc Lafontaine pour prononcer un discours politique. Sans doute signifierait-il son opposition à toute participation canadienne à une guerre européenne.
Au moment dâentrer dans le domicile de lâavenue de lâÃpée, la famille fut accueillie par Julietta. Avertie de leur retour par un coup de fil au départ de Saratoga Springs, elle avait préparé un repas. Nadja abandonna sans vergogne à ses parents la responsabilité de rentrer les bagages pour se précipiter à la recherche de son chat. Fâchée dâavoir été laissée à elle-même pendant deux semaines, la bête, cachée sous un lit, semblait déterminée à bouder tout son saoul.
â Monsieur Daigle, risqua Julietta quand lâhomme revint dâavoir porté la dernière valise à lâétage, vous avez reçu une lettre la semaine dernière.
Lâenveloppe portait lâadresse de lâenvoyeur, Georges Farah-Lajoie. Lâavocat déchira le rebord dâun geste impatient. Lâenquêteur lui apprenait que le Procureur général lâexpédiait pour plusieurs jours dans la région de Québec. à son retour, précisait-il, tous deux devraient se rencontrer afin de conclure leur petite enquête.
En pouffant de rire, Nadja posait le pied sur le bras du fauteuil suivant, puis sur le suivant encore. Elle aurait bientôt traversé tout le cinéma sans toucher le sol.
â Tu vois, ce nâest pas difficile.
Derrière elle, Fran suivait son exemple, hésitante. Toutes deux sâétaient retrouvées dès le matin, et aucune des deux mères nâavait pu résister aux demandes pressantes des fillettes pour passer la journée ensemble. Exactement une semaine plus tard, elles prendraient le chemin de lâécole secondaire.
Les grandes vacances tiraient à leur fin.
â Mademoiselle Nadja, prononça une voix depuis lâentrée de la salle de cinéma, vous nâêtes pas en train de marcher sur les bras des fauteuils?
â ⦠Non!
Prestement, les gamines avaient sauté sur le sol, mais la rouquine mentait terriblement mal. Ãmile Chiasson jugea bon de dire:
â Vous savez que votre mère va mâassassiner si vous vous cassez une jambe alors que je suis chargé de vous garder. En plus, cela ne fait pas de bien au revêtement des sièges.
Nadja trouva préférable de ne pas répondre quâelle avait pris soin dâenlever ses chaussures. Les adultes avaient du mal à admettre quâelle était plutôt soigneuse, malgré ses petites bêtises.
Quand Virginie revint au Théâtre Outremont une heure plus tard, de la scène de la salle de cinéma venaient deux voix de fillettes gueulant pour la cinquantième fois «boum, quand votre cÅur fait boum [â¦]». Dans lâimmense espace vide, lâécho semblait se répercuter sans fin, répétant les boum si agréables aux oreilles des enfants. Ãmile Chiasson se trouvait au bord de la crise de nerfs.
â Vous êtes certaine que vous désirez un autre gamin? déclara-t-il dès quâelle entra dans son bureau. Personnellement, je nâen supporterais pas plus dâun! Non pas que cela risque de mâarriverâ¦
â Ne faites pas votre jeune bougon, vous adoreriez cela, fit-elle en riant.
â Seulement des enfants muets, alors. Et si je vois Charles Trenet un jour, je vais lâétrangler pour avoir écrit cette chanson⦠Elle fait toujours autant de bruit? demanda le gros homme après une pause.
La gérante prit place sur la chaise devant le bureau de son assistant.
â Pas du tout. Aujourdâhui elle est contente de
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