L'Eté de 1939 avant l'orage

mois d’août l’avocat évoquait avec un certain plaisir l’idée de quitter ce travail mal payé. Maintenant, il voulait l’utiliser comme prétexte pour se dérober.
    â€” Je ne pense pas que vous serez occupé à plein temps.
    De toute façon, vous donniez ce cours de droit constitutionnel quand je vous ai connu. Les choses ne changent pas assez vite dans ce domaine pour que vous ayez à le mettre à jour bien souvent. Les deux activités pourront être menées de front et les deux salaires, touchés simultanément.
    Pendant un moment, Renaud contempla le bout de ses doigts. Impossible de se dérober, autrement toutes les personnes qu’il avait sermonnées ces dernières années avec l’importance de s’opposer aux nazis se moqueraient de lui.
    â€” J’accepte. Quand devons-nous commencer?
    â€” Demain matin, présentez-vous à l’hôtel Windsor, à Montréal. Pour l’instant, le Bureau de la censure occupera deux ou trois chambres. Déjà, Thompson se trouve à pied d’œuvre. La première tâche est de donner des directives aux stations de radio. La communication en direct dans ce genre d’entreprise va nous causer bien des soucis.
    Ã‰videmment, lire les épreuves d’un journal permettait d’en empêcher la parution si le contenu faisait problème.
    Avec la radio, si quelqu’un s’autorisait des déclarations contraires à l’effort de guerre, les censeurs l’apprendraient en même temps que les auditeurs.
    â€” Je craignais de devoir argumenter un peu plus longtemps.
    Il me reste donc une minute ou deux pour les commérages.
    Vous savez qu’Arden Davidowicz est rentré en Pologne?
    â€” … Je savais qu’il allait en Europe.
    â€” Parti depuis près d’un mois. Il a écrit à ses collègues de religion juive être arrivé à Varsovie, pour s’enrôler dans le service médical de l’Armée polonaise. Nous tiendrons une élection complémentaire cet automne, pour le remplacer.
    â€” Je ne crois pas qu’il existe un plus mauvais endroit où se trouver sur toute la planète, ces jours-ci.
    Cette fidélité à son pays d’origine étonnait Renaud. Il fallait un bien grand courage pour se précipiter comme cela dans la tourmente.
    â€” Et, ceci expliquant sans doute cela, Élise Trudel m’a demandé de revenir à l’emploi du gouvernement, à Ottawa.
    â€” Et remplacer la dame au physique ingrat qui occupe votre antichambre?
    â€” Impossible. Après s’être montrée au bras de son amant, elle ferait trop jaser. Toutefois, j’ai pu lui dénicher un poste au ministère de la Défense. Quant à sa remplaçante, j’ai essayé de trouver quelqu’un qui ne tournerait pas la tête de mes députés. Ce que j’ai perdu en efficacité, j’espère le regagner en paix de l’esprit. Maintenant, je vous chasse.
    Quatre ou cinq heures de train pour participer à une entrevue de quinze minutes! Au cours des prochaines années, cela se produirait souvent, avec cet homme ou avec son successeur.

    â€” T’occuper de la censure, vraiment? Une curieuse mission pour le propriétaire d’un, peut-être deux cinémas, remarquait Virginie, plutôt amusée.
    â€” Les femmes de ma vie ne voulaient pas que je me fasse tirer dessus. Maintenant, au pire, je vais récolter des invec-tives. Si tu te mets en tête de projeter encore Le Triomphe de la volonté au Théâtre Outremont, tu auras affaire à moi.
    En réalité, à demi allongée sur le canapé, son épouse se trouvait bien soulagée. Comme sa fille, elle avait craint de le voir revenir avec un uniforme sur le dos. Son mari se présentait plutôt à elle sous le jour d’un fonctionnaire de moyenne stature, chargé d’une tâche pas très gratifiante, mais nécessaire en temps de guerre. Sauf en de rares occasions, il serait de retour à la maison tous les soirs à l’heure du souper! Au pire, l’avocat serait conspué par les nationalistes, mais cela, il y arrivait très bien sans occuper la moindre responsabilité officielle.
    Rassurée elle aussi d’avoir un père travaillant pour le Bureau de l’information – celui-ci avait réalisé sa première œuvre de censure