L'Eté de 1939 avant l'orage

les fantasmes du monde des affaires américains. L’exercice rendait hommage à diverses grandes sociétés, de American Telegraph and Telephone à RCA Victor, en passant par Chrysler et Ford.
    Dans le pavillon de la Westinghouse Corporation, la famille Daigle vit la Time Capsule, un cylindre de métal à l’abri de toute corrosion destiné à être ouvert en 6939. Son contenu devait témoigner, auprès des civilisations futures, des réalisations du monde de 1939. Ce long tube contenait des textes écrits par Albert Einstein et Thomas Mann. Cette place donnée à deux personnes de religion juive ayant fui le nazisme avait quelque chose de prémonitoire. De plus, il s’y trouvait des millions de pages sur microfilms représentant les meilleurs ouvrages artistiques et scientifiques, des bandes dessinées, une copie du Life Magazine , un paquet de cigarettes Camel, une poupée et un dollar en petite monnaie. Renaud passa un long moment à supputer ce que les archéologues du futur feraient d’un pareil assemblage…
    Puis le touriste assista à des prouesses technologiques, comme la transmission d’un fax – un néologisme pour fac-similé: dix-huit minutes étaient nécessaires pour recevoir une page de journal – et la réception d’émissions de télévision.
    Déjà, quelques privilégiés du Royaume-Uni avaient pu voir des images du couronnement du roi George VI sur des appareils de ce type, car un service irrégulier de diffusion existait depuis 1936 là-bas, de même qu’en Allemagne.
    Bientôt, les New-Yorkais bénéficieraient de la diffusion d’une programmation quotidienne.
    L’avocat se languissait du jour où un service de ce genre serait disponible à Montréal: une fenêtre sur le monde dans son salon. En se regardant l’un l’autre, par écran cathodique interposé, peut-être les peuples auraient-ils moins envie de se déclarer la guerre.

    Ce ne fut finalement que le 10 août que Georges Farah-Lajoie trouva un moment pour faire un petit crochet rue Bernard, au bureau du notaire Girard, la personne qu’Arden Davidowicz avait chargée de vendre ses deux propriétés. Cela lui permit de glaner une nouvelle information. Ce ne fut pas sans effort, cependant.
    â€” Le renseignement que vous me demandez est confidentiel. Le secret professionnel. Monsieur Davidowicz a mis sa confiance en moi…
    â€” Je vous comprends très bien et je respecte vos scrupules. L’épouse de monsieur Davidowicz a été assassinée dans sa résidence, à moins d’un demi-mille d’ici. Si l’information que je vous réclame ne se révèle pas utile à l’enquête, je vous assure que personne n’en saura jamais rien.
    â€” … Il a cédé ses biens à une femme, Élise Trudel. Le profit de la vente de la maison et du chalet lui reviendra.
    â€” Je vous remercie, monsieur Girard.
    Ainsi, le patrimoine de Ruth Grabowski, tristement mariée, irait à la maîtresse de son époux. Difficile d’imaginer un dénouement plus pitoyable. Une autre vérification demeurait à effectuer pour mettre un point final à cette enquête.

    Tout le reste de la semaine, le Procureur général sut accaparer son agent spécial. C’était ennuyeux, tellement la curiosité le tenaillait maintenant, mais impossible de négliger les demandes de la personne qui lui versait un salaire régulier.
    Le dimanche suivant Farah-Lajoie put enfin se rendre au restaurant De Gascogne , rue Notre-Dame. Les notes du capitaine Tessier lui avaient appris le nom du serveur qui s’était occupé de la table réservée par Élise Trudel le dimanche 21 mai: Justin Duchet. Une première visite, quelques semaines plus tôt, lui avait permis de s’assurer de la véracité de l’alibi de Davidowicz.
    â€” Cette fois, expliqua-t-il au garçon étonné, je voudrais savoir si vous êtes en mesure de reconnaître la femme qui se trouvait avec lui.
    â€” Mais… cela fait bien trois mois! protesta le jeune homme, interloqué. Je ne peux pas me souvenir d’une cliente après tout ce temps.
    â€” Tout de même, cela vaut la peine d’essayer.
    Prestement, l’ex-policier sortit de l’enveloppe quatre grandes photographies d’Élise Trudel, pour