L'Eté de 1939 avant l'orage
semaine dernière et de la prochaine, quatre assemblées publiques auraient eu pour thème lâopposition à la conscription. Avec la même assiduité, tous les politiciens libéraux, sur toutes les tribunes, répétaient que jamais le gouvernement fédéral ne se résoudrait à cette extrémité.
Dans la petite pièce qui servait de bureau au doyen de la Faculté de droit, Renaud retrouva son vieux collègue, plus distingué et affable que jamais. Après les salutations, les échanges sur lâété un peu trop chaud pour demeurer confortable, son patron se décida à en venir au motif de son invitation:
â De curieuses rumeurs arrivent jusquâà nous depuis lâUniversité McGill. Il semble que vous ayez exprimé le désir de remplacer le constitutionnaliste McPherson, au moment où celui-ci prendrait sa retraite.
â La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, une tête de cochon décorait la porte de mon bureau et des collègues avaient discuté avec le recteur dans lâespoir de me faire renvoyer. Dans de pareilles circonstances, jâai voulu voir si jâavais un meilleur avenir ailleurs.
â Je vous ai dit que la démarche de ces collègues ne donnerait rien.
â Tout de même, mieux vaut avoir une position de repli.
Et puis je viens de recevoir six mois de salaire, une bien petite pitance. Je réitérerai donc mon intérêt à McGill. Avec la guerre qui pointe à lâhorizon, lâagressivité de mes confrères nationalistes ne faiblira pas, vous le savez. Déjà , je me sens un peu comme un chien dans un jeu de quilles.
Si lâaffrontement devait se prolonger, tôt ou tard Renaud figurerait au nombre des conscriptionnistes. Cela ne lui vaudrait certainement pas lâaffection des étudiants et des collègues.
â Ou ce sera le contraire, tempéra le doyen. Certains excès de langage et la sympathie pour les régimes politiques des contrées ennemies deviendront dangereux. Au cours de cette période difficile, je ne cache pas que jâaimerais pouvoir compter parmi nous des personnes proches du gouvernement fédéral.
â De toute façon, nous nâen sommes pas là . McPherson semble vouloir établir des records de longévité professionnelle. Aussi, à moins que vous décidiez de ne plus recourir à mes services, en septembre jâouvrirai de jeunes esprits aux joies du droit constitutionnel. Le jour où un autre employeur me signifiera son intérêt, ce sera à vous de me faire un pont dâor pour me garder.
Lâironie dans la voix du professeur indiquait que ce jour-là , ses attentes seraient vraisemblablement élevées.
Une courte visite chez son agent de voyages permit de réserver une petite suite â voyager à trois rendait nécessaire la présence de deux espaces de sommeil fermés â dans un hôtel respectable de Manhattan. Bien sûr, lâexposition The World of Tomorrow se trouvait sur Long Island, mais un train et une station de métro assuraient un accès direct.
Toute la journée du 10 août passa à planifier une nouvelle absence, Renaud dans les pages financières et en conversations avec son courtier, Virginie au Théâtre Outremont, et Nadja dans la cuisine à expliquer à Julietta tous les soins et toutes les attentions à prodiguer à son chat. La bonne et Ãmile Chiasson auraient eu intérêt à former un syndicat afin de mieux résister au harcèlement de la mère et de la fille.
Le 11 août, la famille prenait le train en direction de New York. Le 12, elle sâextasiait devant le Trylon, une aiguille à trois faces haute de six cents pieds jetée vers le ciel, et la Perishpere, un globe de près de deux cents pieds de diamètre.
De lâascenseur les ayant conduits en haut de la tour, le trio entra directement dans ce globe pour assister à la projection sur le plancher dâimages dâune ville du futur appelée Democracity.
Une trentaine de pavillons devaient permettre à autant de pays de mieux se faire connaître des quarante-cinq millions de visiteurs susceptibles de défiler sur les lieux pendant les saisons de 1939 et de 1940. En plus du message politique, lâexposition dont le coût sâélevait à cent soixante millions de dollars, présentait
Weitere Kostenlose Bücher