L'Eté de 1939 avant l'orage
revoir son amie et de constater que les choses demeurent comme elles étaient à Sainte-Agathe il y a trois semaines. Toutes deux sont heureuses et en santé, elles nous le disent.
â Ah! Et elles le disent très fort. Leurs cordes vocales sont certainement en santé⦠Quâen est-il de votre affaire urgente?
â Vous avez tellement bien fait sans moi cet été que je me demandais si, à nous deux, nous ne pourrions pas gérer deux cinémas.
Ãmile Chiasson sâinquiéta un moment de savoir si elle était sérieuse. Bien sûr, il resterait à convaincre Renaud Daigle, mais si elle le désirait vraimentâ¦
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Le vendredi 1 er septembre, le journal La Patrie titrait, en première page, «La guerre! Hitler attaque». Le monde basculait dans lâenfer et y resterait pour les cinquante-huit prochains mois. Sous le titre en caractères gras, six photographies montraient des badauds dans la rue, certains devant la Bourse, les autres juste en face des locaux du quotidien, dans la rue Sainte-Catherine. Dans le plus grand calme, mais avec la crainte inscrite sur le visage, tous ces hommes supputaient leur avenir.
En page deux, les Montréalais apprenaient quâAdolf Hitler avait demandé à son aviation dâépargner les populations civiles⦠une délicatesse qui ne sâéterniserait pas. Le dictateur avait précisé aussi que sâil venait à tomber sur le champ de bataille â une éventualité bien improbable â Hermann Goering lui succéderait, et après celui-ci Rudolph Hess.
Lâavenir du Reich qui devait durer mille ans se trouvait assuré pour quelques années.
Quant au Parlement canadien, il se réunirait le jeudi 7 septembre, en session extraordinaire. En attendant, le pays commençait à mobiliser ses forces militaires. Des ordonnances préparées en 1938 en prévision du déclenchement du conflit entraient en vigueur. Dans une situation de «guerre appréhendée», la Loi des mesures de guerre , adoptée à cause de lâaffrontement précédent, se voyait mise en application.
Sur le front domestique, chez les Daigle, le samedi fut marqué par une visite au magasin Dupuis Frères. Collèges et couvents recommandaient aux parents dâaller sây procurer le «costume» scolaire de leurs enfants. Lâaffluence de tous les retardataires leur fit regretter de ne pas sâen être occupés plus tôt. Puis Renaud entendit pour la première fois parler dâune rumeur, en fin de soirée: un grand cinéma de la rue Saint-Denis, bien situé dans le Quartier latin, risquait de se trouver bientôt à vendreâ¦
Le mardi matin, 5 septembre, au moment de conduire Nadja pour sa première journée au couvent Jésus-Marie, lâatmosphère morose dans la voiture ne tenait pas seulement à la fin des grandes vacances.
â Tu me le promets, tu ne vas pas tâenrôler dans lâarmée? demanda-t-elle pour la dixième fois.
â Non, je ne vais pas mâenrôler.
â Alors pourquoi le ministre Lapointe veut-il te voir?
â Tu as lu le télégramme comme moi. Je nâen sais pas plus.
La veille, la fête du Travail avait privé de journaux, donc de mauvaises nouvelles, le domicile de lâavenue de lâÃpée. Un télégramme arrivé en soirée avait tout de même jeté une certaine inquiétude: il demandait à Renaud Daigle de se présenter au Parlement le lendemain, en début dâaprès-midi, «sâil voulait se rendre utile». La France et le Royaume-Uni avaient déclaré la guerre à lâAllemagne le dimanche 3 septembre. Dans les faits, cela signifiait que le Canada se trouvait en guerre. Bien sûr, comme le pays avait acquis sa totale souveraineté en 1931, le gouvernement devait encore prendre la décision. Toutefois, lâopinion publique canadienne-anglaise ne tolérerait pas que celui-ci opte pour la neutralité. Du côté canadien-français, câétait tout le contraire, la participation risquait dâamener la révolte.
â Mais tu vas tout de même les aider? sâenquit la rouquine après une pause.
â Oui. Tu sais que les Juifs, et bien dâautres personnes, sont menacés. Je ne peux pas rester à ne rien faire.
Le gouvernement de la Roumanie venait de publier
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