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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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des crayons. Les autres contenaient des missives, la plupart venues de ses commettants, écrites en anglais, en français ou en hébreu, mais le plus souvent en yiddish.
    Une heure plus tard, n’ayant rien trouvé d’intéressant, l’homme décida de s’attaquer au classeur dans un coin de la pièce. La chance lui sourit tout de suite: dès le premier des trois tiroirs, un dossier lui sauta aux yeux. Plutôt qu’un nom ou un sujet, une croix gammée ornait le rebord.
    La chemise posée grande ouverte devant lui, l’avocat parcourut en un instant la première lettre. Le contenu se limitait à peu de chose: le député se voyait invité à retourner dans le trou d’où il venait. À la première ligne, le «Monsieur» avait cédé la place à «Sale Youpin». La missive affichait une signature mal assurée. Cela, et l’orthographe, trahissaient un auteur peu scolarisé. La suivante portait le nom d’un prêtre.
    Dans un langage plus châtié, elle disait la même chose… en plus d’ajouter une allusion à l’assassinat du Christ.
    Le troisième billet, avec pour tout autographe «Un Casque d’acier», adoptait un ton carrément sinistre: «Je vais te couper le cou et t’enterrer, enveloppé dans une peau de cochon.» Dans cette liasse, épaisse de deux doigts, en une heure Renaud parcourut environ cent dix lettres, la moitié portant une signature. Plusieurs d’entre elles étaient franchement ordurières, la plupart des autres tout aussi menaçantes, mais avec des mots mieux choisis. Un certain nombre de missives évoquaient la grande conspiration juive pour accaparer la finance internationale, d’autres reprochaient aux Israélites de répandre le communisme. Dans une totale con-fusion d’idées, certains épistoliers rendaient coupables les Hébreux de se livrer simultanément aux deux projets. Quelques-uns allaient jusqu’à les accuser de sacrifier des bébés chrétiens afin de fabriquer du pain avec le sang des victimes. Leurs auteurs reprenaient le Protocole des sages de Sion , un ouvrage préparé par les services secrets de la Russie au dix-neuvième siècle, dans le but de lancer la populace dans de gigantesques pogroms contre les Juifs: une chasse à l’homme marquée par des viols, des tortures et des meurtres.
    Rien de tout cela n’aurait déparé les torchons nazis publiés en Allemagne. Et dans le lot, une bonne douzaine de textes proposaient d’assassiner le député. Aucune de ces dernières ne portait de signatures, mais toutes faisaient allusion aux associations nazies actives au Canada, en particulier au Parti national socialiste chrétien. Il s’agissait de la première organisation politique créée par Adrien Arcand. Ensuite venait le Parti de l’Unité nationale qu’il avait fondé au moment de la fusion avec une phalange de l’Ontario. Des regroupements mineurs se trouvaient aussi évoqués: les chemises brunes, noires, vertes, bleues et argent, les Casques d’acier et les Légionnaires, tous reliés au nazisme. Si les menaces de mort s’adressaient à Davidowicz, dans trois missives elles étaient étendues à sa famille. Aucune n’allait jusqu’à désigner nommément sa femme comme une cible, cependant.
    L’un de ces douze auteurs avait-il mis son projet à exécution et, ne découvrant pas l’homme au gîte, avait décidé de tuer l’épouse, tout simplement pour éliminer une personne susceptible de le reconnaître? L’avocat inclinait à croire que les expéditeurs de billets anonymes se révélaient plutôt des couards, dont la colère se satisfaisait d’un coup de gueule vulgaire. Le coupable se trouvait sans doute chez les individus convaincus que l’action valait mieux que les discours: la propagande par le fait, en quelque sorte, privilégiée par toutes les organisations terroristes.
    Au moment de quitter la pièce, après avoir placé cette liasse de lettres dans sa serviette de cuir, Renaud commençait à admettre que l’assassinat pouvait avoir un motif politique.
    Dans ce type de cas cependant, les auteurs réclamaient au plus vite la paternité de leur attentat sur la place publique, sinon ils perdaient tout effet de

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