L'Eté de 1939 avant l'orage
mobilisation. Personne ne lâavait fait encore. Sans doute les meurtriers ne voyaient-ils aucun intérêt à assumer la responsabilité du décès de lâépouse dâun député de religion juive: lâche, ce geste ne rallierait personne à leur cause.
Comme il était tout juste un peu plus de treize heures, mieux valait regagner la gare sans tarder et manger à bord du train.
Il nây avait pas une heure que le Saint-Louis se trouvait devant le port de La Havane quand Myriam Bernstein et Rebecca Goldberg sâétaient remises à pleurer. Leur désespoir ne sâavérait pas le plus grand à bord: un homme libéré de Dachau juste à temps pour embarquer sur le paquebot avait tenté de se suicider en se jetant par-dessus bord. Les policiers en poste sur une multitude dâembarcations afin de sâassurer quâaucun passager ne rejoigne le rivage à la nage, intervinrent assez vite pour lui sauver la vie.
Depuis, une autre tentative sâétait soldée par son décès. Lâévénement prenait même un caractère contagieux. Dans un télégramme envoyé à la société maritime propriétaire du paquebot, le capitaine évoquait une sombre rumeur: le comité des réfugiés, chargé de servir dâinterprète aux passagers, discutait dâun suicide collectif de tous ceux-ci, un grand sacrifice collectif qui aurait au moins le mérite de dessiller les yeux des dirigeants politiques des pays démocratiques pour les forcer à voir toute lâhorreur du sort de la communauté juive.
Au matin du 6 juin 1939, le soleil sâétait levé sur le paysage de la Floride. Le navire avait levé lâancre la veille. Par un extraordinaire sadisme, le capitaine avait décidé de longer la côte⦠Ou peut-être espérait-il que les Ãtats-Unis finiraient par ouvrir leurs frontières? à la place, le gouvernement américain faisait suivre le Saint-Louis par les garde-côtes pour empêcher toute tentative dâaccostage. Les larmes des fillettes ne cesseraient pas de sitôt.
6
Une intervention rapide sâimposait. Au moment de descendre à la gare Windsor, Renaud Daigle sâempressa de trouver un taxi. Moins de trente minutes plus tard, il pénétrait dans les bureaux de la police municipale dâOutremont, dans lâédifice de lâhôtel de ville, sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine. Dans une municipalité aussi paisible, la force constabulaire demeurait minuscule et peu occupée: son plus grand défi consistait à empêcher les pauvres de lâîle de Montréal de venir voler les notables, ou même de montrer leur misère aux nantis. Cela aurait pu leur gâcher lâappétit!
Le capitaine Tessier lâaccueillit tout de suite dans son bureau, une pièce exiguë encombrée de papiers. Comme il convenait, le policier traitait son visiteur avec déférence, mais tout dans son attitude trahissait sa conviction que ce civil nâavait rien à faire là . Déjà , il avait reçu «des ordres» de son employeur, ceux de bien traiter ce curieux. Il entendait obéir en offrant toutefois la plus mauvaise figure possible.
â Pouvez-vous me dire ce qui sâest passé? questionna Renaud après avoir pris place sur une chaise droite.
â Nous avons reçu un appel téléphonique un peu après neuf heures, hier matin. Davidowicz nous demandait de nous précipiter, car sa femme était morte. Nous avons trouvé le cadavre dans un petit salon, au bout dâun corridor.
â Comment se présentait la scène?
â Tout était en ordre. Simplement le corps par terre, au milieu de la pièce.
Les détails ne viendraient pas facilement, lâavocat devrait travailler pour arracher chacun dâentre eux au capitaine.
â Aucun désordre? Aucune trace de lutte.
â Non, je vous lâai dit.
â Elle est morte de quelle façon?
â Une balle dans la nuque. Un petit calibre sans doute, puisque le projectile nâest pas ressorti du crâne. Je parie pour un 22. Nous recevrons le rapport dâautopsie demain.
Une arme qui ne fait pas beaucoup de bruit, songea lâavocat, pas assez en tout cas pour attirer lâattention des voisins.
Le plomb à lâarrière de la tête faisait penser à une
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