L'Eté de 1939 avant l'orage
rentrer chez eux.
Lâarrestation paraissait hâtive et peu fondée, lâemprisonnement dans ce pénitencier cruel pour un simple prévenu sur lequel les preuves ne pesaient pas bien lourd. Outre lâintervention politique, peut-être avait-on voulu montrer à la populace que la justice sâappliquait dans toute sa rigueur aux nantis comme aux pauvres. Alors que la crise acculait des dizaines de milliers de Montréalais à la misère, cela parerait aux critiques contre lâordre établi.
â Je le verrai donc demain à la prison de Bordeaux.
Jâaimerais aussi avoir accès au rapport dâautopsie.
â Je vais faire mieux que cela. Venez avec moi demain au Laboratoire de recherches médico-légales.
Là aussi, cette gentillesse soudaine trahissait lâintervention politique. Outremont demeurait un fief libéral, le bon mot du maire devait être impératif.
â Entendu, je vous accompagnerai.
â Alors, présentez-vous ici à huit heures trente.
Le retour à la maison sâeffectua dans une atmosphère de joie bruyante. Julietta avait cueilli Nadja à lâécole, comme si lâassassinat de la veille faisait peser une menace nouvelle sur tous les habitants de la ville. Virginie venait juste de rentrer du travail. La fillette sauta au cou de son père dès le moment où celui-ci passa la porte.
â Papa, il y a eu un meurtre. Le médecin de maman a tué sa femme.
â Tu le sais bien, actuellement il est seulement soupçonné de lâavoir commis. Au terme du procès, selon les preuves, il sera déclaré coupable, ou innocent.
â Par un jury?
â Oui, par un jury.
Renaud se livrait à de petits cours de droit à domicile, avec un certain succès.
â Mais tout le monde à lâécole dit quâil lâa tuée.
â Moi, je pense plutôt quâil est innocent. Je vais le défendre.
â Oh!
De la conviction de la culpabilité de Davidowicz, Nadja passa à la certitude de son innocence. Virginie, venue dans le hall dâentrée pour lâaccueillir, lui adressait un regard interrogateur. En lui faisant la bise, lâavocat lui glissa à lâoreille:
â Je tâexpliquerai. Je nâavais pas vraiment le choix.
Quelques minutes plus tard, devant des pâtes, Renaud dressait la liste des beautés de la ville dâOttawa pour sa fille, une liste plutôt courte!
â La maîtresse de Davidowicz?
â Depuis quelques années, semble-t-il.
La jeune femme ressentait une certaine commisération pour cette vieille fille laissée pour compte par la vie. Elle se figurait que le bonheur ne pouvait se trouver ailleurs que dans les félicités conjugales.
â Et elle tâa convaincu de défendre son amoureux?
â Je me suis débattu. Dans ces circonstances, je ne pouvais me dérober. Puis ce matin, Ernest Lapointe a remis cela.
â Le dispensateur des largesses gouvernementales.
Renaud touchait un honnête revenu en tant quâavocat grâce au gouvernement libéral, son principal client. Les années 1930-1935, pendant lesquelles le Parti conservateur sâétait trouvé au pouvoir, avaient tenu dâune véritable disette.
Il répondit dâun sourire avant de continuer:
â Puisque je commençais à le croire innocent, je nâai pas éprouvé le sentiment de me laisser entraîner dans une mauvaise histoire.
â Jâai bien du mal à le voir dans la peau dâun assassin, même si je ne lâai rencontré quâune fois.
â Moi aussi, il mâa donné lâimpression dâêtre un honnête homme. Toutefois, les meurtriers qui portent leur crime sur le visage ne connaissent pas une longue carrière.
Pendant de nombreuses minutes, Renaud évoqua à voix basse les lettres découvertes dans le classeur du député. Passé dix heures, ils se trouvaient déjà au lit. Outremont se révélait si silencieuse, on aurait dit la campagne.
â Comme il y a des gens stupides! Ãcrire de pareilles choses.
La remarque ne demandait pas de réponse. Quand il décrivit la croix gammée sur le ventre de la victime, Virginie afficha une moue dégoûtée.
â Ãlise paraît avoir raison. Un meurtre haineux! On se croirait aux Ãtats-Unis.
Très régulièrement, les journaux
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