L'Eté de 1939 avant l'orage
sûr, les généreux donateurs ne devaient pas être si nombreux parmi les grenouilles de bénitier qui peuplaient la Ligue.
â Jâai tout de même une hésitation. Votre association sÅur a été condamnée par le Saint-Pèreâ¦
Renaud arrivait à dire cela avec le plus grand sérieux.
Pendant dix ans, la Ligue dâAction française avait porté le même nom quâune organisation présidée par Charles Maurras en France. Cet homme sâétait attiré les foudres du Vatican pour avoir affiché un nationalisme agressif, mâtiné de religion, et un racisme farouche dirigé surtout contre les Juifs.
â Voyons, notre association nâa jamais été liée à celle de France, plaida Anatole Vanier.
â Alors, pourquoi avoir changé dâappellation dès 1927, puis encore en 1933? Ce devait être pour éviter une condamnation venue du Vatican.
â Une simple précaution afin que des gens ne nous confondent avec la Ligue en France, répliqua André Laurendeau.
â Pourtant, avec votre dernier conférencier, ce bon curé, jâai cru entendre un parfait disciple de Maurras, argua Renaud. Ce discours me semble tout à fait inspiré par les fascistes de Paris. Par exemple, citer les vingt-deux résolutions du Protocole des sages de Sion , câest aviver la haine raciale, nuire à la démocratie: exactement ce quâon a reproché à Maurras.
Le docteur Pouliot sâagita sur sa chaise, finit par sâexclamer dâune voix impatiente:
â Mais puisquâon vous dit que nous nâavons rien à voir avec lâAction française de Maurras!
â Admettons-le, consentit lâavocat en fixant ses yeux dans ceux du gros homme. Mais ce prêtre avait de quoi donner froid dans le dos. Après un discours pareil, il ne reste plus quâà affûter nos couteaux, remonter la rue Saint-Laurent et trancher la gorge de tous les Juifs se trouvant sur notre chemin.
â ⦠Vous savez, dit André Laurendeau tentant de tempérer la discussion, dans une soirée comme celle-ci, destinée à mobiliser les gens, il peut se produire des excès de langage.
LâAction nationale nâentérine pas chacun des mots prononcés.
Renaud Daigle dévisagea le petit homme un moment, puis déclara:
â Vous mâétonnez, cher ami. Ce soir, nous avions devant nous Lambert Closse. Jâai pu repérer dans le livre La Réponse de la race tout ce quâil a dit sur la scène. Je mâen suis assuré en vous attendant, lâouvrage se trouve juste à côté de moi.
Lâavocat allongea le bras, prit le volume sur la tablette derrière lui. La couverture portait un dessin un peu maladroit, représentant un bûcheron avec sa cognée au premier plan, des bâtiments industriels au second.
â Voyez-vous, je nâai même pas eu de mal à retrouver son discours. Votre ami a commencé sa récitation à la page cinq cent sept. Je vous lis: «Lucifer et les Juifs. Il faut les associer pour progresser sûrement dans lâétude de la question sociale.»
â Même sâil sâagit de cet auteur, comme je vous lâai dit, notre association ne peut assumer la responsabilité de tout ce qui se clame ou sâécrit au Québec, insista André Laurendeau dâune voix hésitante.
â Vous lâavez invité.
â Je veux bien lâadmettre. Cependant, nous ne contrôlons pas les paroles de nos conférenciers. La Ligue ne donne pas dâ imprimatur .
Lâavocat adressa à son vis-à -vis un sourire qui rappelait celui dâun plaideur sur le point dâasséner le coup de grâce à un adversaire:
â Mais je sais cela, monsieur Laurendeau. Ce livre que je ne mettrais même pas dans mon cabinet de toilette pour me torcher, de peur de me salir, porte déjà un imprimatur , celui de Sa Grandeur Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve, archevêque de Québec. Le bon prélat lâa trouvé conforme à lâenseignement de lâÃglise et, en y apposant sa signature, lâa recommandé à ses ouailles. Lâouvrage contient aussi lâ imprimatur de lâAction nationale. Vous ne pouvez pas ignorer que votre père, Arthur Laurendeau, en a signé la préface en 1936.
à cette époque, il occupait le même poste
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