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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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que vous aujourd’hui: directeur de la revue publiée par la Ligue!
    Dans la lumière crue, André Laurendeau donna l’impression de pâlir un peu quand son interlocuteur tourna le livre vers lui et le posa sur la table, ouvert à la page de la préface.
    â€” Allons-nous-en, grommela Étienne Pouliot en faisant mine de se lever. Ce type nous fait perdre notre temps.
    â€” Bien sûr, les fils ne doivent pas assumer les péchés de leurs ancêtres, continua Renaud en faisant semblant de n’avoir rien entendu. Mais vous occupez la même fonction que votre père, la filiation pèse particulièrement lourd. Alors, après avoir un peu réfléchi à la question, je ne me joindrai pas à votre mouvement. Voyez-vous, votre Ligue, par la voix de Lambert Closse, reproche aux Juifs quelque chose dont je suis coupable aussi. Je lis – l’avocat avait tendu la main pour reprendre le livre et l’ouvrir à la page cinq cent quinze –:
    Â«Distraire l’attention des masses par des amusements populaires, des jeux, des compétitions sportives: amuser le peuple pour l’empêcher de penser.» Je l’admets, je présente des films aux masses au Théâtre Outremont. Et puis, même si je n’ai pas un sou dans le hockey professionnel, des gars comme Aurèle Joliat ou Georges Vézina me semblent infiniment plus respectables que votre curé fasciste…
    Avec un petit sourire afin de souligner les derniers mots, Renaud s’était levé pour marcher jusqu’à la porte. Avant de l’ouvrir, il se retourna pour dire encore:
    â€” Bien le bonsoir. Ne me reconduisez pas, je connais le chemin. Monsieur Vanier, monsieur Pouliot, chers collègues, je vous reverrai avec plaisir dans deux jours, à la collation solennelle des grades de l’Université de Montréal. Tous les trois, nous portons si élégamment la toge et le mortier.
    Sur ces dernières paroles, l’avocat sortit. Au moment de fermer la porte, il eut l’impression d’entendre de bien gros mots, lesquels n’auraient pas dû franchir les lèvres des chefs d’une société née d’abord pour défendre la qualité de la langue française.

    De toute la journée du lendemain, Renaud Daigle ne reçut aucune nouvelle du prisonnier Davidowicz. Résolu à le laisser mijoter un peu dans son jus, l’avocat se souvint qu’il était aussi professeur de droit constitutionnel. Une cinquantaine de copies d’examen restaient à corriger, alors que la date de remise des notes était dépassée depuis près de vingt jours.
    Son champ de spécialisation, quand on l’étudiait à fond, pouvait procurer un certain plaisir intellectuel à un enseignant, ou même à un plaideur. D’un autre côté, la correction des travaux d’étudiants se révélait une corvée des plus ennuyeuses. Se berçait-il d’illusions en pensant que «dans son temps», les universitaires savaient encore aligner deux ou trois idées dans un français à peu près correct? Ce genre de réflexion chagrine sur l’appauvrissement de la culture de la jeune génération lui venait de plus en plus souvent.
    Commençait-il à devenir vieux?
    Sans doute son dépit tenait-il moins à la prose estudiantine qu’au soleil radieux qui entrait par la petite fenêtre de son bureau. Deux étages plus bas, Renaud voyait de jolies femmes vêtues de robes fleuries marcher sur le trottoir longeant la rue Saint-Denis.
    â€” Pourquoi diable ne pas corriger ces copies à la terrasse d’un café!
    Le professeur eut tout juste le temps de ranger les examens dans son porte-documents. Quelques coups légers contre sa porte ruinèrent instantanément ses plans. Un étudiant inquiet qui voulait lui expliquer le sens de ses réponses et suggérer la note à lui attribuer, probablement.
    â€” Entrez! lança-t-il assez fort pour que l’importun l’entende du corridor, une pointe d’impatience dans la voix.
    La porte s’ouvrit sur un jeune homme vêtu d’un pantalon gris et d’une veste de tweed bleue. Trop chauds pour la journée, ces vêtements trahissaient un budget modeste: ce grand garçon aux cheveux châtains ne possédait sans doute pas une garde-robe assez fournie pour suivre les changements de saison

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