L'Eté de 1939 avant l'orage
police.
â Elles portaient des signatures? insista encore le président du Congrès.
â Ãvidemment non. Ces gens-là demeurent trop lâches pour révéler leur identité.
â Alors comment savez-vous que les nazis les ont écrites?
Lâhomme dâaffaires avait des sources dâinformation dans tous les milieux: Davidowicz nâavait pas encore évoqué les nazis, seulement des antisémites. Le député réalisait combien les yeux de Bronfman pouvaient se faire inquisiteurs. Lâhomme fixait sur lui un regard dâacier: toute sa résolution semblait sây concentrer. Après avoir essayé de le soutenir, le médecin affecta de sâintéresser aux photographies qui couvraient les parties des murs laissées libres par les étagères. La plupart montraient des personnages influents de la diaspora juive.
Les autres concernaient les colonies établies en Palestine.
Des Israélites tentaient de recréer dans ce territoire sous juridiction britannique, qui leur avait appartenu près de deux mille ans plus tôt, un «foyer national» où personne ne pourrait attenter à leur sécurité. Cela ne se faisait pas sans heurts: tous les jours ou presque les journaux évoquaient les affrontements violents entre colons juifs et habitants arabes. La référence la plus lugubre de lâété à ces événements paraîtrait bientôt dans La Patrie , le titre en serait «Une pluie de membres sanglants»: ceux de dix-huit Arabes réduits en pièces par une bombe.
â Comment savez-vous que ces lettres anonymes venaient des nazis? insista Samuel Bronfman.
â Certaines portaient, en guise de signature, des mots comme «Un Casque dâacier», ou alors «Une chemise noire».
â Des mots que vous et moi pourrions mettre au bas dâune feuille de papier! Cela ne constitue pas une preuve.
Jâaimerais bien voir ces missives.
à une invitation de ce genre, venue dâun homme aussi puissant, Davidowicz ne pouvait opposer quâune seule réponse:
â Peut-être pourriez-vous les obtenir du capitaine Tessier, du service de police dâOutremont. Je suppose que vous avez vos entrées à lâhôtel de ville.
Le financier lui adressa un sourire déçu avant de répondre:
â Malheureusement non. Au contraire, ce serait très mal vu: la solidarité des Youpins, même quand il sâagit dâun crime odieux, pour manipuler la justice. Quelquâun dâautre a vu ces lettres?
â Quelques collègues dâOttawa à qui je les ai montrées.
Et puis ma⦠ma maîtresse, bien sûr.
â Des témoignages dâinégale qualité. Personne dâautre?
â Mon avocat, Renaud Daigle. Ma compagne â ce mot semblait bien moins obscène à Davidowicz que celui de maîtresse â lui a montré celles que jâavais reçues à mon bureau, au Parlement. Câest lui qui a trouvé celles qui avaient été postées à la maison et les a remises aux policiers.
Quelle initiative opportune, réfléchit le financier. Non seulement cet avocat et la maîtresse du député avaient con-jugué leurs efforts pour sortir lâaccusé de prison, mais ils avaient procuré aux policiers une piste à suivre. Les procureurs se montraient rarement aussi attentionnés pour les enquêteurs.
â Ce Renaud Daigle, qui est-il exactement? sâenquit Bronfman.
â Un constitutionnaliste né à Québec, formé à Oxford, revenu après un séjour comme chargé de mission au Haut-Commissariat canadien à Londres. Aussi longtemps que le Parti libéral a été au pouvoir à Québec, il a rempli certains mandats pour le gouvernement provincial. Cela a été heureux pour lui, car les conservateurs au pouvoir à Ottawa ne lui auraient jamais donné un cent. Quand le gouvernement de Taschereau a été balayé par lâUnion nationale de Maurice Duplessis en 1936, la chance lui souriait toujours. Les libéraux de King étaient revenus au gouvernement à Ottawa.
Comme son ami Ernest Lapointe jouissait du statut de ministre de la Justice, Daigle pouvait profiter des largesses du gouvernement fédéral. Depuis trois ans, il remplit divers mandats pour la Commission royale dâenquête sur les relations entre le dominion et les
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