L'Eté de 1939 avant l'orage
là -dedans, si vous étiez un peu plus charitable? Certainement trois ou quatre.
De pourpre, lâecclésiastique passa au pâle.
â Ãcoutez, enchaîna la jeune femme, je vois venir un taxi, cela doit être le mien. Je conclus un marché avec vous: le jour où vous abandonnerez votre château et les deux ou trois religieuses qui vous servent de domestiques au profit dâhonnêtes travailleurs sans logis, je donnerai mon emploi à un chômeur. En attendant, allez vous confesser de votre propre égoïsme.
Le vicaire continuait de la regarder de ses grands yeux coléreux. Lâémotion lâempêchait de la traiter de salope «qui brûlerait en enfer pour lâéternité». Un moment, il éprouva la nostalgie du bon vieux temps des bûchers de sorcières, pour les femmes de cette espèce.
â Je devine, monsieur le vicaire, que vous vouliez encore me dire combien le cinéma représentait un danger pour le salut des bonnes âmes outremontoises. Renoncez, jâai déjà entendu tout cela. Vous devriez me laisser passer, sinon je risque de ne pas baiser aujourdâhui, alors que je suis présentement très fertile.
Après une hésitation, il sâécarta pour céder le passage. Se trompait-il, ou le déhanchement de la jeune femme visait à lâaguicher? Vraiment, quelle salope.
12
Bon Dieu, que câétait haut, un cheval! Renaud se tenait à deux mains au pommeau de la selle. Pourtant, à lâécurie, on lâavait assuré quâil ne risquait rien sur le dos de cet animal, voué à porter les vieilles dames et les avocats sujets au vertige.
â Jâai un beau cheval, nâest-ce pas?
Devant lui, Nadja se tortillait sur sa monture, désireuse de voir tous les arbres, les arbustes, les pierres même qui bordaient le sentier. Puis quand la nature environnante lui laissait un moment de répit, elle se penchait sur lâencolure de la bête pour lui faire un câlin. Dans une heure, elle voudrait certainement ramener lâanimal à la maison.
â Très beau. Tu ne crois pas que tu devrais rester bien assise sur ta selle, et regarder où tu vas?
â Bah! Le cheval connaît son chemin. Tu vois, câest mieux que ton auto: toi, tu ne peux pas lâcher le volant sans te retrouver dans le décor.
Pour le lui prouver, elle levait les mains vers le ciel.
â Tout de même, tu devrais faire un peu attention.
Cette phrase, elle lâentendait tous les jours! Heureusement, les mots glissaient dans son esprit comme lâeau coulait sur le dos dâun canard. Son «Oui, oui» distrait ne sâaccompagnait dâaucun changement dans son comportement.
â Tu crois que lâon pourra revenir? implora-t-elle après un moment.
â Toutes les semaines, si tu veux.
Les adieux déchirants entre la fillette et la monture se trouvaient retardés jusquâen septembre. La scène nâen deviendrait que plus larmoyante. Elle émit une onomatopée joyeuse, fit une caresse un peu plus appuyée à son cheval.
â Je pourrai apporter lâappareil photo?
â ⦠Oui, bien sûr.
Nadja présentait des joues rouges. Juin commençait par de belles journées ensoleillées, mais fraîches. Le plein air ferait sans doute le plus grand bien à une couventine résolue à terminer ses études primaires première de sa classe. Cela valait bien des heures dâinconfort, aux yeux du père poule.
Sur le quai de la gare de Sainte-Agathe-des-Monts, la grande rousse attira lâattention de quelques hommes. Ils furent déçus de voir la même en format réduit, pas encore sortie de lâenfance, mince au point dâêtre filiforme, se précipiter vers elle en criant:
â Maman, nous sommes allés faire de lâéquitation!
Deux bras maternels se refermèrent sur elle, pour la soulever de terre et la couvrir de baisers. Personne, parmi les témoins de la scène, nâaurait pu deviner quâelles sâétaient quittées un peu plus de vingt-quatre heures plus tôt, tant était grand le plaisir des retrouvailles.
â Papa mâa dit que nous irons toutes les semaines.
Renaud venait de les rejoindre. En serrant sa femme contre lui, il lui murmura à lâoreille:
â Damné canasson. Jâai les couilles en compote.
â Ne
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