L'Eté de 1939 avant l'orage
tâen fais pas, je béquerai bobo tout à lâheure.
Devant les yeux étonnés de son époux devant une offre pareille, elle ajouta dâune voix normale:
â Un ordre impératif du vicaire de notre paroisse⦠Bon, jâinterprète un peu ses paroles, mais je suis tout de même fidèle au message. Je tâexpliquerai.
â Dans ces conditions, je répéterai vraiment lâexpérience toutes les semaines. Si câest avec lâassentiment du curé en plusâ¦
Nadja avait pris la main gauche de sa mère et Renaud, la droite. La maison ne se trouvait pas trop loin, sur le Chemin-Tour-du-Lac. à leur arrivée, Julietta sortit de la cuisine en sâessuyant les mains sur une serviette pour venir les saluer.
â Bonjour, fit la jeune femme. Mes deux garnements ne vous ont pas fait la vie trop difficile?
â Pas du tout. En fait, je ne les ai pas vus de la journée, sauf ce matin. Le repas sera prêt dans une heure. Un rôti. Si vous le permettez, Nadja pourrait mâaccompagner pour une promenade au bord du lac. Je nâai encore rien vu des environs.
Une petite ruse pour laisser un moment dâintimité aux époux, comme sâils avaient eu le temps de se languir lâun de lâautre depuis la veille.
â Ce serait une excellente idée, nâest-ce pas, Nadja? fit la mère en contemplant son mari, qui marchait les jambes un peu écartées.
Au moment de se présenter aux bureaux montréalais du Congrès juif canadien, Arden Davidowicz remarqua les regards inamicaux dâhommes qui, à peine deux semaines plus tôt, se seraient précipités vers lui afin de lui raconter leurs malheurs et de lâimplorer dâutiliser toute son influence de député afin de les tirer du pétrin. Les suppliques les plus fréquentes concernaient des parents quâils souhaitaient faire sortir dâEurope.
Aujourdâhui, leurs regards nâauraient pas été différents sâil avait eu la peste. Dans les circonstances, mieux valait ne pas sâattarder dans la salle de réunion ou la bibliothèque, où des hommes discutaient avec animation de sujets politiques ou religieux.
Au premier coup sur la porte, un «Entrez» impatient vint du bureau du président de lâorganisation. Un instant plus tard, Arden Davidowicz prenait place devant un bureau de chêne couvert de brûlures de cigarette. Toute la pièce, encombrée dâétagères ployant sous lâabondance de la documentation, rappelait que le Congrès devait, avec des ressources extrêmement limitées, venir en aide à de très nombreux Canadiens de religion juive, sans compter tous leurs coreligionnaires dispersés à travers le monde qui cherchaient un havre de paix.
â Monsieur Davidowicz, commença Samuel Bronfman, je vous offre mes plus sincères condoléances pour la perte que vous venez de subir.
â Je⦠je vous remercie beaucoup.
Le député retrouva la mine du veuf éploré, mais tout de suite la plus grande curiosité domina son expression. Le grand homme ne lâavait certainement pas dérangé pour lui dire cela en personne, un simple billet aurait suffi. Son interlocuteur ne le fit pas languir très longtemps:
â Puisque vous voilà libre, je suppose que la police a été satisfaite de votre alibi. Des rumeurs circulent sur les hypothèses que vous avez émises en ce qui a trait aux coupables de ce meurtre. Pouvez-vous me les répéter?
â Jâai reçu de nombreuses lettres de menaces de la part dâantisémites. Je pense que lâun dâeux est passé à lâaction.
â Je reçois aussi des lettres de ce genre. Mais comme vous le voyez, je suis toujours en parfaite santé. Et vous aussi, vous en conviendrez. De plus, vous recevez des menaces, mais câest votre femme qui est tuée.
â Je crois que jâétais la cible: comme elle était seule à la maison, le tueur a sans doute voulu éliminer un témoin gênant. De plus, ces lettres étendaient parfois les menaces à ma femme et à mon fils.
Assassiner son épouse semblait un coup dâéclat bien douteux. Rien qui puisse avoir un effet politique positif pour les auteurs du crime.
â Vous avez ces missives? questionna encore Bronfman.
â Non. Elles sont entre les mains de la
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