L'Eté de 1939 avant l'orage
rencontrer demain matin à neuf heures, aux bureaux de la compagnie Seagram. »
Pourquoi diable le baron de la finance voulait-il le voir?
Sa présence, il le devinait, était plutôt requise devant le président du Congrès juif canadien! Samuel Bronfman, à la tête dâun empire dont la production dâalcool demeurait la pierre angulaire, dirigeait cette association depuis le mois de mars 1939. Un peu auparavant, il avait accédé à la présidence du Comité pour les réfugiés de cette même société. Lâhomme dâaffaires pouvait donner une nouvelle vitalité à cette organisation peuplée dâidéalistes dont lâaction nâavait pas été très efficace jusque-là . Déjà , cette famille sâétait dévouée pour sa communauté, puisque son frère Allan avait été à lâorigine de la fondation de lâHôpital général juif de Montréal.
à lâheure convenue, Renaud Daigle se présenta à lâentrée de Mallett House, une majestueuse maison de pierres brunes située sur Mountain Street, le siège social de la Seagram.
Ãlégant, lâédifice avait été construit une quinzaine dâannées plus tôt, à proximité de lâUniversité McGill. Dès son arrivée dans le hall, une secrétaire plutôt grande et athlétique lâaccosta dâemblée en lui disant:
â Monsieur Daigle? Monsieur Bronfman vous attend.
Deux minutes plus tard, elle le faisait entrer dans une pièce aux boiseries finement sculptées. Devant un foyer dâénormes proportions, une table de bois précieux faisait office de bureau. Un homme chauve, haut de taille et plus très mince, au costume sombre, se leva pour venir à sa rencontre en lui tendant la main:
â Maître Daigle, je vous demande pardon de la façon cavalière dont je vous ai prié de venir me voir. Seule la situation mâa incité à ce manque de délicatesse.
â Je mâen remettrai, murmura lâavocat amusé de tant dâonctuosité. Jâai été plutôt intrigué par lâinvitation.
â Veuillez prendre place, je vais essayer de soulever le voile sur ce mystère.
Du geste, Bronfman désigna un grand fauteuil recouvert de cuir.
â Je peux vous offrir quelque chose?
â Il est un peu trop tôt pour lâun de vos excellents whiskies. Autant mâabstenir.
La secrétaire prit ces derniers mots pour un congédiement et sâesquiva. Le financier sâassit sur le siège voisin du sien, croisa les jambes, réunit ses deux mains devant lui et commença:
â Vous êtes intervenu auprès de monsieur Lapointe afin dâobtenir lâentrée des passagers du Saint-Louis au Canada.
Nous, je veux dire le Congrès juif et moi, vous en sommes très reconnaissants.
â Sans aucun succès, jâen ai bien peur.
â Tout de même, vous avez pu montrer au politicien que tous les Canadiens français ne forment pas un bloc antisémite. Peut-être finira-t-il par conclure quâun peu plus de générosité ne provoquerait pas une levée de boucliers.
Comment diable cet homme pouvait-il connaître aussi bien la teneur de sa conversation avec le ministre de la Justice? Probablement parce quâil avait dû vivre exactement la même un peu plus tôt.
â Mais un autre sujet mâa amené à vouloir vous parler, en lien avec le premier. Vous avez accepté de représenter Arden Davidowicz, aux prises avec cette malheureuse histoire, à la demande de ce dernier et de monsieur Lapointe.
Cette fois, Bronfman montrait quâil possédait des sources dâinformation au sein du cabinet lui-même. Sans doute était-ce le cas pour tous les entrepreneurs de cette envergure.
â Je dois admettre que ce fut un peu à mon corps défendant.
â Cet homme vous semble-t-il innocent?
â Son alibi paraît de béton. Le Procureur général a renoncé à porter des accusations contre lui.
â Vous ne répondez pas vraiment à ma question, et je comprends votre prudence. Aussi longtemps quâun coupable nâaura pas été identifié, le doute subsistera à ce sujet.
Davidowicz a déjà révélé à des amis quâil craignait subir un jour une attaque de la part des nazis. Cela
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