L'Eté de 1939 avant l'orage
thé dans de petites tasses de porcelaine blanche tout en répondant en riant:
â Je serais très surpris dâatteindre de tels sommets.
â Comment vas-tu faire? Parcourir les rues à la recherche des nazis et leur demander sâils ont tué Ruth Davidowicz?
â Non, je te lâai dit, Bronfman a quelquâun dans leurs rangs.
â Il a son propre réseau dâespionnage?
Lâidée semblait tellement étrange à la jeune femme que lâironie teintait sa voix.
â Il paraît que oui. Selon lui, le contraire serait très dangereux. Mieux vaut ne pas être le dernier à apprendre quâil existe une conspiration contre les Juifs, quand on appartient à cette communauté.
â Surtout quand on a autant à perdre que lui. Comment vas-tu rejoindre cet informateur?
Virginie buvait son thé à petites gorgées, songeuse. Depuis quâelle connaissait Renaud, elle lâavait vu sâengager dans de nombreuses entreprises don quichottesque s, mû à la fois par un désir de justice et une insatiable curiosité.
â Dâaprès ce que jâai compris, quelquâun me contactera.
â Sais-tu où, et quand?
â Aucune idée.
Dâabord, il ne se passa rien, tellement que Renaud pensa que Bronfman devait avoir changé dâidée. Puis, le jeudi, une lettre sans aucune trace de sa provenance lui fixait un rendez-vous au milieu de lâaprès-midi du jour suivant, à la cafétéria du grand magasin Dupuis Frères. Lâétablissement de plusieurs étages, dressé au coin des rues Berri et Sainte-Catherine, se présentait comme la maison de commerce des Canadiens français. Lâidée semblait excellente: à cette heure du jour, la clientèle exclusivement féminine papotait au-dessus de tasses de thé ou de café et de petits gâteaux. Lâavocat essaya de passer inaperçu derrière le numéro du matin de La Presse .
Une tasse à portée de main, son chapeau de paille sur la chaise à côté de lui, il sâabsorba dans la lecture pendant une demi-heure, au point de sursauter au moment dâentendre:
â Monsieur Daigle, je suppose?
Renaud leva la tête pour voir devant lui un homme de taille moyenne, le visage émacié, des lèvres minces sâouvrant sur des dents carnassières. Au vêtement, on devinait un ouvrier: une vareuse de toile bleue et une chemise à carreaux, des pantalons bruns. Les yeux gris immobiles, avec dans le regard une lueur inquiétante parfois, laissaient toutefois pressentir une occupation moins innocente.
â Oui câest moi, monsieurâ¦
â Alfred Côté fera très bien lâaffaire, fit lâautre en tendant la main.
Machinalement, Renaud se leva à demi pour la serrer, indiquer dâun signe la chaise devant lui.
â Désolé pour le petit retard, mais je tenais à mâassurer que personne ne sâattachait à vos trousses.
â Vous⦠vous croyez que quelquâun pourrait me surveiller?
â Je ne sais pas, mais je préviens les mauvaises surprises.
Mes relations habituelles se surprendraient de me voir avec un avocat dâOutremont qui se lance à la défense des internes juifs.
â Vous devez redoubler de précautions quand vous rencontrez votre employeur.
â Jâaimerais que vous ne fassiez jamais allusion à cette personne. Le secret professionnel est pour moi plus vital quâil ne le sera jamais pour aucun avocat.
Quelque chose dans le ton fit comprendre à Renaud que mieux valait ne jamais transgresser cette règle. Chercher à deviner dans quelles circonstances Bronfman avait recruté un pareil personnage, quel genre de services il avait pu lui rendre au fil des ans, occuperait de longues heures, sans jamais lui permettre de trouver quoi que ce soit.
â Entendu. Vous devez toutefois mâentretenir de vos découvertes. Vous êtes proche des milieux nazis?
â Je suis membre du Parti de lâUnité nationale, à la tête des légionnaires.
Lâhomme assis devant Renaud faisait face au mur. Tout de même, sa voix devint un murmure. Quand une serveuse vint prendre sa commande, il se contenta dâun café. Ce ne fut quâaprès que la jeune fille le lui eut apporté que lâavocat enchaîna:
â Je ne suis pas familier avec cette
Weitere Kostenlose Bücher