L'Eté de 1939 avant l'orage
raconter, éventuellement guidez sa curiosité, analysez les données recueillies et faites-mâen rapport.
En un mot, venez me dire si dâaprès vous, oui ou non, les milieux fascistes sont susceptibles de déraper vers la violence.
Et si en passant vous apprenez qui a tué Ruth Davidowiczâ¦
â Je ne vois pas ce qui vous fait croire que je pourrai effectuer un travail semblable.
â Bien sûr, je vous paieraiâ¦
De la main, Renaud fit un geste pour indiquer son désintérêt de la question.
â Vous nâavez rien accepté de Cohen non plus, remarqua Bronfman. Tôt ou tard, vous pourrez vous présenter à lui et soumettre votre créance. Moi, je vous paierai, nous serons quittes à la fin de cette histoire. Tout de même, cela fait de vous un individu dangereux, cette propension à lever le nez sur une rémunération. Un esprit libreâ¦
Ce diable dâhomme savait aussi pour le jeune interne. Les nationalistes avaient peut-être raison de prêter une grande solidarité à la communauté juive. Des siècles dâexpériences dramatiques expliquaient sans doute cette attitude. Alors que les secondes sâégrenaient, lâavocat en venait à penser que lâidée nâétait pas si bête, après tout. Lâinterprétation des informations glanées dans les milieux fascistes exigeait une bonne connaissance de la société canadienne-française, pour différencier les coups de gueule qui nâiraient pas plus loin des véritables menaces, en même temps quâune certaine distance vis-à -vis dâelle. Au fond, quelquâun comme lui qui, devant ses concitoyens, ressentait souvent un sentiment dâinquiétante étrangeté. Même la gendarmerie royale à cheval - la Royal Mounted Police - ne devait pas posséder cette capacité dâanalyse.
â Ã tout le moins, accepteriez-vous de rencontrer mon informateur?
Pendant un moment, Renaud demeura silencieux, puis se laissa lentement gagner par la curiosité.
â Cela ne me fera pas de mal, une petite conversation.
â Je vous remercie.
Arrivé à ses fins, Bronfman paraissait prêt à se lever, disposé à se livrer à des tâches importantes dès que son visiteur viderait les lieux. Aussi lâavocat quitta son siège, sâinclina en disant «Monsieur» et se dirigea vers la porte. Avant de la lui ouvrir, son hôte dit encore:
â Très bientôt, vous serez invité à une rencontre discrète.
â Jâespère simplement ne pas connaître le même sort que Mata Hari.
Cette femme, une danseuse sulfureuse, avait expié devant un peloton dâexécution le fait dâavoir espionné les Français au profit des Allemands pendant la Première Guerre mondiale.
Â
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Alors quâil reprochait volontiers à sa femme de travailler de trop longues heures, Renaud se permettait tout de même de venir la retarder de temps en temps quand un sujet le préoccupait un peu trop. Le nouveau mandat reçu de lâindustriel comptait dans la liste de ceux-ci. Le bureau de la gérante du Théâtre Outremont fournissait un cadre idéal à ces échanges.
â Tu as accepté de lui servir dâespion? fit-elle, amusée par le récit de la rencontre de la matinée.
â Je suppose quâinterpréter les informations recueillies par un autre, câest juste un peu plus noble que regarder soi-même par les trous de serrures.
â Ce genre de mandat devrait te faire riche⦠aussi riche que la famille Trudeau?
Pendant des années un avocat, Charles-Ãmile Trudeau, avait représenté les Bronfman devant les tribunaux, à une époque où les lois sur la prohibition rendaient la vie difficile à un producteur dâalcool. Les honoraires et les bons conseils financiers de son employeur lui avaient profité. Au moment de liquider les pétroles Champlain, lâentreprise créée par lâavocat, le résultat de la transaction lui donna de quoi mener une existence de dilettante⦠pour lui et les générations à venir de sa famille. Si la mort, survenue en 1934, empêchait Charles-Ãmile dâen jouir, ses enfants le feraient. Un fils, Pierre, pourrait étudier et voyager longuement avant de devenir professeur de droit.
Renaud se chargeait de verser du
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