L'Etoffe du Juste

De là, il serait impossible de manquer Guy et Lambert de Thury lorsqu’ils sortiraient de chez Jehan.
    —    Bougre qu’il fait froid dans ces contrées ! se plaignit Ugolin en frissonnant dans sa capeline. Vivement le retour chez nous !
    —    Tout est prêt ? m’enquis-je.
    —    Les chevaux sont sellés et nous attendent dans l’étable, me confirma-t-il. Mais comment prévois-tu sortir de la forteresse ?
    —    Vous portez la livrée de Pierrepont et je suis le garde du corps de Guy de Montfort. À moins qu’on sonne l’alerte, on nous ouvrira sans poser de questions.
    Nous attendîmes longtemps en nous réchauffant de notre mieux. Chacun de nous était tendu, conscient d’être vulnérable. Ugolin était en passe de se transformer en glaçon lorsque la porte du corps de logis s’ouvrit enfin. Nous nous raidîmes en voyant Guy sortir en compagnie de Thury.
    —    Il faudra peut-être l’éliminer, lui aussi, murmura Jaume.
    —    Tout dépendra, me contentai-je de répondre.
    Ils prirent sur leur droite pour longer la muraille qui menait à la Tour du Prisonnier au pied de laquelle nous nous tenions.
    —    Ils viennent droit vers nous, chuchota Jaume. Il vaudrait mieux disparaître.
    Mes compagnons s’apprêtaient à se fondre dans la nuit quand je les arrêtai en tendant le bras.
    —    Attendez.
    Montfort et Thury bifurquèrent et s’engagèrent dans l’escalier qui menait au chemin de ronde.
    —    Ils montent sur la muraille, fit Jaume, perplexe.
    —    Suivons-les.
    Nous quittâmes notre repaire et longeâmes à notre tour la muraille, aussi vite que nous le pouvions sans attirer l’attention.
    —    Restez là, ordonnai-je.
    J’allai guetter discrètement depuis la cour. De là, je vis Guy et son compagnon émerger sur le chemin de ronde et suivre la muraille en direction de la Tour du Prisonnier. Une fois les deux hommes arrivés près de la porte, Thury frappa trois coups, attendit et murmura quelque chose. Dès qu’elle s’ouvrit, il entraîna le jeune Montfort à l’intérieur. Je retournai vers mes compagnons.
    —    On dirait bien que le temple se trouve dans la Tour du Prisonnier. Celui des Neuf ? demandai-je.
    —    C’est un bâtiment sécuritaire, comme le donjon de Mont-ségur, renchérit Jaume. Avec les ponts-levis qui peuvent couper la tour du chemin de ronde si le besoin s’en manifeste, il est bien protégé. Je crois bien que oui.
    —    Dommage que nous ne puissions pas y entrer pour leur faire leur affaire, tous autant qu’ils sont, gronda Ugolin d’une voix sombre et indignée que je connaissais bien.
    —    S’il est vrai qu’ils ont trahi, même un seul d’entre eux, leur sang ne mérite même pas de mouiller le plancher en damier, Ugolin. Le temple a été bâti par ceux qui croyaient à la cause. Ne le souillons pas plus qu’il ne l’est déjà.
    Nous restâmes aux aguets jusque tard dans la nuit, mais Guy ne reparut pas. Comme si nous n’étions pas déjà assez anxieux, la neige qui avait repris compliqua notre observation.
    —    Il prend son temps, le bougre, ronchonna Jaume. Combien d’heures lui faut-il pour prendre livraison d’un simple document ?
    La porte de la Tour du Prisonnier s’ouvrit. Nous nous raidîmes aussitôt. Deux silhouettes sortirent et s’engagèrent sur le chemin de ronde.
    —    Les voilà ! Ugolin, dès qu’ils seront passés, va retrouver Pernelle et attends-nous. Jaume, avec moi.
    Nous attendîmes qu’ils émergent de l’escalier pour mettre notre plan à exécution. Mais nous fûmes déçus. Au pied de la muraille se tenaient Thury et un soldat de Pierrepont que j’avais parfois vu durant le voyage. Ils discutèrent un court instant à mots couverts, puis se séparèrent, l’un se dirigeant vers le logis seigneurial, l’autre vers un des corps de logis en bois, au fond de la cour.
    —    Par la queue du diable, où est le mignon ? se troubla Ugolin.
    —    Je donnerais cher pour le savoir, fis-je, sonné.
    —    Qu’est-ce qu’on fait ?
    —    De toute évidence, Thury n’était pas seul à l’intérieur. Peut-être les autres y sont-ils encore. Attendons.
    Après deux heures, personne n’était sorti de la tour.
    —    Quelque chose cloche, dis-je.
    Jaume avisa le ciel qui commençait à s’éclaircir. L’aube s’an-nonçait.
    —    Nous ne pouvons pas rester ici, dit-il. En plein jour, n’importe lequel des hommes