L'Etoffe du Juste
de Pierrepont s’apercevra que nous ne sommes pas des leurs dès qu’il nous verra. Aux arrêts, nous serons inutiles.
— Retournez auprès de Pernelle. Elle doit être folle d’inquiétude.
— Avec joie. La bouteille d’eau-de-vie que j’ai trouvée dans les bagages d’un croisé nous réchauffera un peu, s’exclama Ugolin, réjoui.
— Et toi ? Que feras-tu ? demanda Jaume.
— J’attendrai encore un peu. Personne ne se formalisera de voir le garde du corps de Montfort traîner seul. S’il ne sort pas, je le chercherai. Il est forcément quelque part dans la forteresse.
— Et s’il était déjà sorti ? suggéra Ugolin.
Je le regardai, interdit.
— Où étais-tu, ces dernières heures, pendant que nous nous gelions les fesses ? Tu sais aussi bien que moi qu’il n’est pas ressorti.
— Pas par cette porte, rétorqua le Minervois. Mais s’il existait une autre issue dans la tour ? Qui dit que le temple n’est pas pourvu d’un souterrain menant hors de la forteresse ?
— Celui de Montségur n’en a pas, fit Jaume.
— Et après ? Ils ne sont pas nécessairement identiques.
Je fus saisi d’une profonde angoisse et, malgré le froid, je sentis la sueur me couler entre les omoplates. Et si Ugolin avait raison ? Si nous avions guetté toute la nuit pour rien ? Si Guy de Montfort avait simplement quitté Gisors en douce après avoir pris possession de la Vérité en me laissant derrière ? Dans ce cas, il serait déjà à des heures de distance. En partant sans délai à sa poursuite, nous aurions encore une chance de le rattraper, mais comment être certain qu’il n’était plus dans la forteresse ?
— Espérons que tu as tort, mon gros, dis-je.
Nous convînmes de nous retrouver le soir venu, au pied de la tour, pour faire le point. Puis mes compagnons retournèrent à l’étable. Moi, je restai là, à attendre. Le soleil était levé depuis une heure et la forteresse commençait à s’animer lorsque je me résolus à abandonner. Consterné, je décidai de retourner à l’appartement. Avec un peu de chance, Guy de Montfort finirait par y apparaître au cours de la journée et tout rentrerait dans l’ordre. Sinon, j’essaierais de retrouver sa piste. En chemin, je guettai désespérément les alentours, à l’affût du moindre signe, mais n’en vis aucun. Lorsque j’entrai, la pièce était vide. Une inspection rapide me confirma que Montfort n’y était pas repassé. Personne n’avait dormi dans sa paillasse. Le gobelet de vin qu’il avait laissé à moitié plein avant de partir pour le logis de sire Jehan était toujours sur la table. Mais, à mon grand soulagement, je constatai que ses affaires étaient encore là. Il me restait donc une chance.
J’avais l’impression de porter le poids du monde sur mes épaules. Je m’approchai de ma paillasse et m’y laissai tomber, découragé. Je désirais me reposer un peu avant de me lancer à sa recherche. La fatigue de la nuit aidant, le sommeil s’empara de moi.
Je me tenais au centre du temple des Neuf mais pas à Montségur. La pièce était carrée. Ses murs de pierre étaient dépourvus de fenêtres. Des flambeaux l’éclairaient. Sur le mur, le baucent, l’épée et l’écu étaient suspendus au même endroit. Près de la place du Magister, l’abacus était planté dans son socle. Les dix fauteuils étaient disposés sur le pourtour et sur chacun était drapé un manteau blanc, avec ou sans la croix pattée des templiers. Le dallage en damier était le même. L’autel aussi, couvert de sa nappe blanche et portant le sceau des Templiers, et le crucifix que chaque nouvel initié devait renier. Mais point de cassette.
Je fis quelques pas, qui résonnèrent de façon lugubre dans la pièce vide. Je compris que je me trouvais dans l’autre temple. Celui de Gisors. Mais comment y étais-je entré ? Par la Tour du Prisonnier, sans doute. De toute façon, cet endroit m’était désormais inutile. La seconde part de la Vérité ne s’y trouvait plus. Les Neuf de Gisors avaient trahi la cause qu’ils avaient juré de défendre au prix de leur vie. Maintenant, Guy de Montfort la détenait et il était en route vers le Sud.
Pourtant, je ne me sentais pas tranquille. Une vague inquiétude me tordait les entrailles. J’avais l’impression agaçante d’avoir raté quelque chose d’important, d’avoir été négligent. Et je sentais que cela me coûterait
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