L'Etoffe du Juste
songer à leur âme plutôt que de tripoter la matière créée par Satan.
— C’est une question d’opinion, je suppose, bonne dame, continua calmement Guillot. Ce qui nous importe ici, c’est qu’une grande partie du savoir des alchimistes est formulée sous forme d’acronymes : des mots constitués à partir de la première lettre de chaque mot d’une phrase. Seuls les initiés en comprennent le sens. L’un d’eux est V.I.T.R.I.O.L. : Visita Interiora Terræ Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem. Drôle de coïncidence, vous ne trouvez pas ?
— « Visite l’intérieur de la terre et, en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée », traduisit Thury, songeur. Cela semble en effet pointer vers un lieu souterrain.
— Mais où ? fit Jehan. Et pourquoi avertir contre le vitriol ?
— Peut-être la menace n’est-elle pas celle que l’on croit ? suggéra le moine. Gare au vitriol. Si l’on avertissait ainsi le Lucifer des conséquences qui le guettent s’il ne s’enfonce pas dans les profondeurs de la terre ?
— C’est possible, je suppose, fis-je. Et puis, Lucifer signifie « porteur de Lumière ». Il pourrait être celui qui la fait briller dans les Ténèbres.
Jaume se leva et se mit à arpenter le temple.
— Peut-être tentons-nous de retrouver la piste pour rien. Sire Alain, tu as dit plus tôt que deux de vos membres avaient trahi l’Ordre. M’est avis que s’ils ont pris la peine d’entrer en contact avec Montfort, c’est qu’ils avaient déjà retrouvé les documents.
Sinon, à quoi bon prendre le risque de devoir avouer ensuite à sire Guy qu’ils ne les avaient pas ? Ils auraient payé cette petite fantaisie de leur vie.
Le Magister grimaça, inconfortable.
— C’est une possibilité, j’imagine. Mais ces deux hommes étaient encore tout nouveaux dans l’Ordre. L’un avait été initié voilà deux mois et l’autre, depuis un peu plus d’un an. Je ne vois pas comment ils auraient su où la trouver alors que nous l’ignorons tous.
— À moins que Montfort et Amaury ne le sachent depuis longtemps et ne leur aient transmis l’information. Peut-être n’étaient-ils que des exécutants, avança Jaume. À tout le moins, ils avaient bon espoir d’y parvenir sous peu.
— Je crois qu’ils espéraient surtout extorquer une bonne somme au pape, dit Thury. Dieu sait qu’Innocent en a les moyens ! Mais avec l’interrogatoire musclé qu’ils ont subi, crois-moi, s’ils avaient su quoi que ce soit, ils l’auraient avoué, ajouta-t-il avec un sourire qui en disait long. Ils ont souffert mille martyres.
— Et ces chiffres ? Trois, cinq et sept ? Que peuvent-ils bien vouloir dire ? demanda Pernelle.
Une fois de plus, ce fut Guillot qui proposa une interprétation.
— Les nombres ont tous un sens mystique. Le trois est le plus parfait de tous, celui qu’on associe à la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit - donc à Dieu. Il symbolise aussi l’homme, doté d’un corps, d’un esprit et d’une âme. En géométrie, il fait référence aux trois côtés du triangle, considéré comme la forme parfaite et la plus solide. Le cinq, lui aussi, ramène à l’homme avec ses cinq doigts, ses cinq membres et ses cinq sens. Le sept est la somme du trois et du quatre, c’est-à-dire du ciel et de la terre. Trois, cinq et sept : Dieu qui guide l’homme vers la Vérité qui les unira.
— Ton érudition est impressionnante, moine, mais elle ne nous apporte rien de bien concret, dit Pernelle.
— Foutre Dieu, nous tournons en rond ! fis-je en claquant le bras de mon fauteuil. Si tous les indices pointent vers une cache souterraine, alors cherchons-la ! Nous verrons bien où cela nous mène. Guy est emprisonné et ses complices sont morts. Nous avons un peu de temps.
Je me levai et pris la situation en main, comme je l’avais toujours fait.
— Sire Jehan, depuis combien d’années êtes-vous seigneur de Gisors ?
— Presque trente longues années, soupira-t-il, las. Et mon père l’avait été pendant trente-cinq ans avant moi.
— Vous connaissez donc la forteresse mieux que personne.
— Je le crois, oui.
— Réfléchissez. Quel serait l’endroit le plus propice pour aménager une pièce secrète ?
Le vieillard se frotta le menton en fronçant les sourcils, son visage plissé par la concentration.
— Je suis d’accord avec Thury.
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