Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
Vom Netzwerk:
Dieu était cruel et vengeur, et il voulait que je souffre pour me rappeler ce que j’étais. Sa loi était immuable. La réparation était le lot de toutes ses créatures. Il ne m’avait doté d’une conscience que pour mieux me tourmenter.
    Au loin, j’aperçus quelqu’un. Une forme enveloppée d’une capeline noire, assise sur le sol. Elle me tournait le dos. Je m’approchai. Lorsque je fus plus proche, je sus qu’il s’agissait d’une femme. Elle pleurait à chaudes larmes. Pris d’une soudaine compassion, je lui posai la main sur l’épaule. Elle se retourna et abaissa son capuchon, découvrant des cheveux blonds comme les blés mûrs. Cécile. Ses beaux yeux bleu pâle étaient bouffis par les larmes, mais elle était plus belle encore que lorsque je l’avais vue pour la première fois, quand elle s’était insinuée dans mon cœur. Elle était rayonnante. Je lui souris et elle me le rendit piteusement. Puis les lèvres que j’avais embrassées si souvent, parfois avec tendresse, parfois avec fougue, se mirent à trembler et les sanglots la reprirent. Je m’accroupis et fis mine de la prendre dans mes bras, mais elle m’arrêta.
    —    Ne me touche pas, dit-elle tristement.
    —    Cécile, laisse-moi te consoler.
    —    Il est trop tard pour cela. Tu n’avais qu’à rester à Toulouse, auprès de moi.
    Elle se leva et tendit vers moi une main sur laquelle j’aperçus la bague en argent que lui avait remise sa tante Esclarmonde lorsqu’elle n’était encore qu’une fillette. Elle portait la croix cathare, la croix templière et les lettres C etM. Le sceau du Cancellarius Maximus qui, en nous liant au sort de la Vérité, nous avait privés du bonheur. Elle écarta ma chemise et laissa courir ses doigts sur la marque que Métatron avait brûlée dans ma chair. Puis elle remarqua que je portais à l’annulaire de ma main droite l’anneau qu’elle avait confectionné avec ses cheveux. Elle sourit.
    —    Pourquoi nous ? demanda-t-elle, nostalgique. Nous aurions pu être si heureux.
    —    Peut-être le serons-nous encore, douce amie, dis-je. Lorsque ma mission sera accomplie...
    —    Tu mourras. Tu le sais comme moi. Et je resterai seule, quoi qu’il advienne. Si j’avais su, jamais je ne t’aurais aimé.
    —    Cécile, nous servons la même cause. Tu y étais engagée, toi aussi.
    —Je sais, c’était inévitable. Dieu l’a voulu ainsi. Et ce n’est pas fini. Nous souffrirons encore.
    —    Que veux-tu dire ? demandai-je.
    Elle ne répondit pas. Sa silhouette devint translucide. Lorsqu’elle reprit forme, le père Prelou se tenait devant moi, dans l’état où je l’avais connu, quand j’étais encore enfant. Les longs cheveux blancs qui encerclaient son crâne chauve et luisant, qui m’avaient toujours fait penser à la couronne d’épines du Christ, flottaient dans un vent qui semblait n’affecter que lui. Les mains enfouies dans les manches de sa bure, il resta là à me dévisager, l’air pensif sans rien dire, un reproche dans le regard. Ce silence était pour moi une torture pire que n’importe quelle parole.
    —    Tu étais si doué et plein de promesses, soupira-t-il enfin en secouant la tête, la voix chargée d’amers regrets. Tu avais un si bel esprit. Tu étais curieux, avide d’apprendre, de connaître. Je souhaitais plus que tout te remplir comme on le fait d’une cruche avec de l’eau pure. Je croyais sincèrement que mon enseignement et ma supervision arriveraient à te guider, à contrer ta nature. Quel fou j’ai été.
    Il cracha sur le sol.
    —    Te voilà maintenant parmi les hérétiques, en passe de jeter à terre le divin édifice de la sainte Église ! Toi que j’ai élevé dans la foi. Qui es-tu donc pour croire que tu peux détruire impunément la révélation ? Te crois-tu donc plus grand que Dieu lui-même ?
    —Je... je ne l’ai jamais demandé, mon père, balbutiai-je, redevenu l’enfant de jadis. Mon sort m’a été imposé, vous le savez bien. Dès ma naissance, j’étais condamné à le faire. Rappelez-vous du voile que je portais. Ne me blâmez pas, je vous en prie.
    Il sortit la main de sa manche et brandit vers moi un index accusateur.
    —    Ah ! J’aurais tant dû t’étouffer quand j’en avais la chance, au lieu de te bénir ! Avant que tu ne fasses tout ce mal ! Traître ! Sacrilège ! Impie ! Apostat !
    Il fit un pas et, d’un geste vif, m’empoigna le poignet

Weitere Kostenlose Bücher