L'Etoffe du Juste
gauche.
— Cette main a allumé le bûcher de pauvres innocents ! Dieu punit les pécheurs par là où ils ont péché !
Terrorisé, je tentai de me dégager, sans succès. Le père Prelou m’agrippait avec une force surnaturelle. Sa main devint brûlante, m’arrachant un hurlement de douleur. Puis des flammes en montèrent, brûlant ma peau, qui dégageait une odeur de cochon rôti.
— Ressens dans ta chair la torture que tu as infligée à tes serfs ! cria le prêtre, le regard fou. Souffre du feu qui les a rongés !
Son visage se mit à changer. Ses cheveux se consumèrent. Sa peau commença à fondre comme de la cire chaude et à couler sur ses os, révélant son crâne. De la fumée épaisse et âcre monta de sa bure, et son corps se flétrit. Il brûlait sous mes yeux, comme il l’avait fait jadis, adossé à l’église en flammes de Rossal. La chaleur se répandait dans mon avant-bras, puis jusqu’à l’épaule, et je me débattis pour me libérer, sans plus y parvenir. Je criai.
Il me lâcha aussi subitement qu’il m’avait saisi et recula lentement sans me quitter du regard, malgré ses yeux qui avaient éclaté dans leurs orbites.
— Tu es maudit ! hurla-t-il en se fondant dans la pénombre. Au jour du jugement dernier, tu pourriras en enfer et je serai là pour m’en réjouir, assis dans la béatitude à la droite de Dieu !
Le père Prelou disparut, me laissant haletant et ébranlé, mon membre blessé et douloureux blotti contre ma poitrine. Il avait raison, à une nuance près. J’étais maudit, mais je risquais de me retrouver en enfer bien avant le jugement dernier. Ma cause était déjà entendue.
Je ne sais combien de temps je passai à souffrir. Sur ma main gauche, la chair se détachait par lambeaux dans une douleur extrême. Un feu perpétuel semblait y être logé, la consumant de l’intérieur. Je me recroquevillai sur le sol, mon bras mutilé serré contre moi.
La mendiante de Toulouse me tira de ma prostration. Le Can-cellarius Maximus que j’avais tant cherché, que j’avais imaginé être un homme sévère et sage, enveloppé de pouvoir et de gloire, et que j’avais plutôt trouvé vêtu de modestes hardes, dans une ruelle crasseuse. Elle se tenait devant moi, jeune et resplendissante de santé. Ses cheveux étaient noirs et son visage dénué de plaies, et je la reconnus sans peine. Elle ouvrit les mains en signe de paix, s’approcha et s’agenouilla pour me faire face.
— La seconde part de la Vérité se trouve à Gisors, Magister des Neuf, me redit-elle. Dans une chapelle qui n’a jamais vu la Lumière.
— Tu me l’as déjà dit, mais je ne pourrai pas la récupérer. Je... je suis mort, je crois, dis-je bêtement.
— Tu es le Lucifer et tu as une mission à accomplir. Tu ne mourras pas tant que Dieu ne l’aura pas décidé et tu le sais fort bien. Rends-toi à Gisors, comme je t’en ai intimé l’ordre. Une fois là, tu trouveras.
— Quel piège m’a-t-on tendu ? Dis-le moi, grand-mère, si tu tiens vraiment à m’aider.
— Le vitriol a maintes formes, mon enfant. Il peut tout autant apporter la vie et la lumière que la mort et les ténèbres.
— Et cette marque d’infamie... De quoi s’agit-il ?
— Tu as lu la première part de la Vérité. Souviens-toi de l’ultime humiliation qu’on a infligée à Jésus : Iesus Nazarenus, Rex Iudaeorum 7 .
Je repensai au document que j’avais tenu entre mes mains tremblantes, dans le temple des Neuf dans lequel Pilatius Pontius lui-même racontait le supplice de Ieschoua sur une croix surmontée d’un écriteau.
— Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. Et alors ? C’était bien ce qu’il prétendait être et il en a été puni par Rome.
— Ton bras n’est pas ta seule arme, mon fils. Ta cervelle aussi doit servir à quelque chose. N’est-ce pas là ce que t’aurait dit Bertrand de Montbard ?
— Et le reste ? demandai-je. Le trois, le cinq et le sept ? Que voulais-tu dire ?
Elle me dévisagea d’un air entendu.
— Ce sont les clés.
Je lui retournai son regard, préférant attendre la suite. Sous mes yeux, elle redevint la vieille édentée et rabougrie que j’avais connue dans la ruelle.
— Lucifer, soupir a-t-elle, j’ignore où se trouve exactement la seconde part, à Gisors. Je t’ai livré le message qu’on m’a confié en 1187. Je ne peux pas t’aider davantage.
— Tu veux
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