Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
Vom Netzwerk:
Adoremus et les sept Pater eurent le même effet.
    —    Gratia Domini nostri Jesu Christi sit cum omnibus vobis. Benedicite, parcite nobis. Fiat secundum verbum tuum 5 , dit ensuite
    Pernelle d’une voix sereine, en se gardant toutefois de poser la main sur la tête d’Ugolin. Que le Père saint, juste, véridique et miséricordieux, qui a le pouvoir dans le ciel et sur la terre, te remette et te pardonne tous tes péchés en ce monde et te fasse miséricorde dans le monde futur. Que le Seigneur Dieu te pardonne et te conduise à bonne fin.
    —    Amen, répondit faiblement le Minervois, dont le visage me sembla briller d’une sérénité nouvelle. Qu’il en soit fait, Seigneur, selon ta parole.
    —    Gratia Domini nostri Jesu Christi sit cum omnibus nobis 6 .
    Pernelle lui tendit la bible, qu’il baisa trois fois.
    —    Voilà, fit mon ami. Si je dois mourir, ce sera en paix.
    —    Il n’en est pas question, grosse bourrique têtue, dis-je en m’approchant avec une voix encore éraillée. Tu vas guérir et, bientôt, la seule chose qui te fera tourner de l’œil sera la vue du sang !
    —    Ne crains rien, je n’ai pas l’intention de passer l’arme à gauche, répondit le Minervois en forçant un sourire. Mais cette décision est celle de Dieu, pas la mienne.
    Puis il s’endormit. Il me sembla que son repos était plus paisible qu’avant et je lui enviai le privilège de la paix de l’esprit que lui apportait sa foi.
    La nuit suivante, la voix d’Ugolin me réveilla. J’ouvris les yeux et, en l’apercevant dans la lueur des braises, je réalisai que j’avais cédé au sommeil et que j’avais négligé le feu. Mes regrets se muèrent toutefois en joie dès que je le vis. Il était appuyé sur un coude et souriait.
    —    J’ai une soif de tous les diables, dit-il. Tu crois que je pourrais boire autre chose que le jus infect que tu me fourres dans le gosier depuis des jours ?
    Puis il m’adressa un sourire franc et enjoué. Heureux comme un enfant, je saisis une outre d’eau fraîche que Pernelle avait laissée dans la journée et me levai pour la lui porter. Je n’avais fait qu’un pas lorsqu’un vertige s’empara de moi. Je tentai en vain de rester debout, mais le sol se mit à osciller, et bientôt le monde fut enveloppé dans la pénombre. Lorsque je m’affalai, je sentis à peine le bois du plancher qui me râpait la joue.
    J’étais dans un état second, quelque part à mi-chemin entre la vie et la mort. Autour de moi, il faisait noir et j’avais la curieuse sensation de flotter dans le vide. Il ny avait ni dessous, ni dessus, ni dextre, ni senestre. J’existais, sans plus, affligé tour à tour par une étouffante chaleur et par un froid glacial. Seule l’odeur de la putréfaction et de la sueur qui parvenait à mes narines me confirmait que j’avais encore un vague contact avec la chair.
    Pendant longtemps, je fus désespérément seul, perdu dans ces limbes étranges et inhospitalières. Puis, autour de moi, des voix lointaines résonnèrent, inintelligibles. Cette vague présence me rassura un peu. Ensuite vint la douleur, si vive, si profonde, qu’elle semblait remplir tout mon être et me pétrifiait. J’avais mal comme jamais dans ma vie. Chaque mouvement m’arrachait un cri d’animal blessé qui me restait pris dans la gorge. Mon corps tout entier, si tant était que j’en avais encore un, me donnait l’impression d’être en feu, comme rongé de l’intérieur.
    Dans l’état d’hébétude où je me trouvais, j’essayai de me convaincre, sans y parvenir tout à fait, que, puisque j’avais mal, j’étais forcément vivant. Mais je savais aussi, pour avoir visité l’enfer et en avoir expérimenté les tourments, que les morts n’étaient pas exempts de souffrances. Peut-être Métatron m’apparaîtrait-il bientôt pour m’annoncer ma sentence ? Pourtant, je ne voyais pas ce que j’avais pu faire pour me retrouver en sa présence. Ne lui avais-je pas obéi ? N’avais-je pas déjà retrouvé la moitié de la Vérité, comme il me l’avait ordonné ? N’était-elle pas maintenant en sécurité derrière la muraille de Montségur, sous la garde des Neuf? N’étais-je pas, en ce moment même, sur la piste de sa seconde part ? Quoi qu’en dise l’archange, je n’avais pas échoué. Pas encore, en tout cas.
    Je ne saurais dire combien de temps cette affliction dura, car là où je me trouvais, le temps n’existait pas.

Weitere Kostenlose Bücher