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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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Malgré sa propre faiblesse, il t’avait fait boire du saule toute la journée. Sans son courage, tu ne serais plus des nôtres. Il t’a sauvé la vie.
    Ugolin me tendit l’eau et je bus quelques gorgées.
    —    Combien de temps ? m’informai-je en pensant aux conséquences du retard que j’avais provoqué.
    —    Tu es resté inconscient pendant une dizaine de jours et nous avons souvent craint de te perdre. Quand j’ai tenté de te donner le consolamentum, tu as même perdu le souffle. Tu es devenu tout bleu. Mais te revoilà.
    Elle me caressa de nouveau les cheveux, son geste trahissant l’amour profond qu’elle me portait.
    —    D’abord ta blessure au cou, puis un carreau d’arbalète au front, et maintenant le feu sacré. Tu sais, mon ami, je crois que tu es béni de Dieu, dit-elle avec tendresse.
    « Plutôt maudit », songeai-je. Elle se tourna vers le Minervois.
    —    Apporte-lui à manger, tu veux ?
    Ugolin se dirigea vers un chaudron suspendu au-dessus du feu, dans l’âtre et, à l’aide d’une louche en fer, y puisa de la bouillie de blé dont il remplit un bol de bois. Il revint vers moi, s’assit par terre et me tendit une cuillère pleine. Étonné, j’ouvris la bouche et avalai.
    —    Ventredieu ! Tu ne vas quand même pas me nourrir comme un enfant, grondai-je. Je ne suis pas mort, que je sache. Donne-moi ce bol.
    J’étirai le bras gauche pour le saisir, mais ma main refusa de s’ouvrir et s’y frappa, faisant choir le contenu du bol sur le sol et sur les cuisses d’Ugolin. Indifférent aux miaulements de mon ami, qui balayait frénétiquement ses membres ébouillantés, je restai là, pétrifié. À l’extrémité de mon bras se trouvait une chose que je n’avais jamais vue. Jusqu’au poignet, la peau de ma senestre était flétrie, rougeâtre et raide comme du cuir séché. Les doigts crochus lui donnaient l’apparence d’une serre d’aigle et elle me faisait penser aux pattes de ces démons qu’on voyait souvent, sculptés dans la pierre des églises. À l’extrémité de mon index et de mon majeur, je pouvais voir les os qui perçaient la chair. Incrédule, je tentai de faire former un poing à la chose immonde pour me convaincre qu’il s’agissait bien de ma main. J’en fus quitte pour une douleur aiguë lorsque la peau se fendit sur les jointures, laissant aussitôt suinter un liquide clair mêlé de sang.
    Catastrophé, je tournai la tête vers Pernelle.
    —    Mordiable ! m’écriai-je, au bord des larmes. Qu’est-ce que c’est que cette chose ?
    Incapable de soutenir mon regard, mon amie baissa les yeux, contrite.
    —    Ignis sacer est un mal terrible, Gondemar, dit-elle, hésitante. Tu y as survécu, ce qui est déjà rare. Sois-en reconnaissant. Ta main est le prix que tu as payé.
    Pernelle releva vers moi des yeux remplis de larmes.
    —    Ton cas était plus grave que celui d’Ugolin. Je ne sais pas pourquoi, la maladie frappe selon son bon plaisir. Ta chair avait commencé à se détacher et ta main n’était plus que viande crue. À coups d’onguents et de compresses, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour limiter la progression du mal. Je songeais même à l’amputer. Puis, ce matin, quand je suis arrivée, je l’ai trouvée dans cet état. La chair s’y était refaite et la corruption s’en était allée. Je n’y comprends rien. Pas plus que la façon dont tu t’es remis d’un carreau d’arbalète dans la cervelle. Elle n’est guère alléchante, j’en conviens, mais elle est. vivante.
    Moi, je ne comprenais que trop bien. J’avais encore frais en mémoire le père Prelou qui me serrait le poignet, le feu se transmettant de sa main à la mienne. Cette main a allumé le bûcher de pauvres innocents ! Mais Dieu punit les pécheurs par là où ils ont péché ! D’outre-tombe, le prêtre m’avait maudit et avait appelé le feu sacré dans ma senestre. Puis la mendiante m’avait soulagé et la peau s’était refaite. Une fois encore, le rêve et la réalité s’étaient entremêlés.
    Pernelle prit doucement ma répugnante senestre entre ses mains et épongea le liquide qui en suppurait avec un linge. Puis elle fit jouer les doigts et le poignet sans que j’en ressente trop de douleur.
    —    Un onguent à base d’huiles appliqué régulièrement permettra à la peau de retrouver de sa flexibilité. Avec le temps, elle bougera mieux, mais aussi bien te le dire tout de suite : elle ne sera

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