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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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d’épervier dardât sans cesse dans tous les coins de la pièce, elle s’avéra, curieusement, de fort bonne compagnie. Elle me faisait face, de l’autre côté de la table et, à plusieurs reprises, je surpris ses yeux rivés sur moi, les sourcils froncés, comme si elle tentait de comprendre quelque chose. De ce ton saccadé qui lui était propre, elle nous parla de son enfance et de la vie au village avant l’arrivée de la fièvre qui avait emporté une partie de la population, dont sa famille. La maladie s’était déclarée après le passage d’un baron du Nord et de ses troupes, qui s’en allaient guerroyer contre les hérétiques. Depuis lors, on se méfiait des soldats.
    —    Et toute cette quincaille ? m’informai-je en désignant l’ensemble des objets qui s’entassaient partout.
    —    Tous ces objets protègent la maison contre la maladie, corrigea Pernelle en me faisant les gros yeux. Comme ça, elle n’y viendra plus jamais. N’est-ce pas, Tyceline ?
    —    Non, non, non ! Plus de maladie, répondit celle-ci en hochant énergiquement la tête. Plus jamais. La maladie, c’est dangereux. On ne la voit pas, mais elle peut se cacher n’importe où. Mais ici, il n’y en a pas. Ça, vous pouvez en être sûrs. Je l’ai chassée.
    —    Et tu as très bien réussi, dit Pernelle en lui tapotant affectueusement le bras, comme on le fait avec un enfant, ce qui fit sourire la pauvresse.
    La bière aidant, le repas dura longtemps. Lorsque le tonnelet fut bien vide, il faisait nuit. Je me levai et constatai que j’avais la tête qui tournait et les jambes lourdes, sans doute autant à cause de l’alcool que de la fatigue. J’avisai avec envie la paillasse sur le sol. Je rêvais déjà de m’allonger près du feu et de passer enfin une nuit au chaud.
    —    Nous dormons là ?
    —    Oh non ! s’exclama Tyceline. Pas là ! Ça, c’est ma paillasse à moi. Parfois, Belin et Edelinne viennent m’y rejoindre la nuit. C’est que, là où ils sont maintenant, il fait froid, vous comprenez ? Le feu les réchauffe.
    À ces mots, j’eus une vision de l’enfer, glacial et aride, où j’avais passé un moment entre mes deux vies. Mais un homme et une fillette innocents emportés par la fièvre n’avaient-ils pas gagné leur ciel ?
    —    Alors où ? m’enquis-je.
    —    Là, dit Pernelle en désignant la porte qui donnait sur l’autre pièce.
    —    Tu y as jeté un coup d’œil ?
    —    Euh. non.
    —    Par les couilles du vieux Joseph. soupirai-je.
    Si Pernelle avait pris la peine de visiter l’autre pièce, jamais nous n’y aurions dormi. Elle était pire que la première. Tout ce que Tyceline n’avait pas suspendu aux murs ou entassé sur les tablettes y traînait pêle-mêle. Le long d’un des murs, le bois de chauffage était empilé jusqu’à sa mi-hauteur. L’espace était presque entièrement occupé par des roues de charrette cassées, de vieux outils endommagés, des tas de chaume moisi, des planches cassées, des fers à cheval usés, des vêtements, des sacs bourrés de plumes et même de cheveux, les peaux plus ou moins tannées de toutes sortes de bêtes et des dizaines de vieilles couvertures mangées par les souris. Elle semblait avoir conservé tout ce que le village avait jeté depuis deux ans. L’odeur de poussière épaisse fit éternuer Ugolin à plusieurs reprises. Mais au moins, il s’y trouvait trois paillasses dont l’état semblait acceptable.
    Dès que nous entrâmes, des insectes effrayés par la lumière de la chandelle traversèrent le plancher pour se vautrer sous le joint des murs. Tout cela était dégoûtant, mais épuisés par le voyage et la maladie encore récente, nous nous couchâmes sans plus attendre. Je m’endormis sur le champ, si bien que je n’eus même pas le bonheur d’entendre les ronflements d’Ugolin ébranler les murs de la demeure.
    J’avais l’impression d’avoir tout juste fermé les yeux lorsqu’un chatouillement me tira du sommeil. Je sentis une caresse, à peine plus lourde qu’un souffle, descendre le long de ma joue, suivre le tracé de mes lèvres, puis de mon menton, avant de remonter vers mes cheveux. Dans ma confusion, je crus qu’un des insectes s’amusait à visiter mon visage et tentai de le chasser de quelques claques. Après quelques instants, les caresses reprirent et je finis par ouvrir les yeux, bien décidé à me débarrasser des petits indésirables. Je fus

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