L'Etoffe du Juste
surpris de trouver Tyceline, éclairée par la flamme d’un bougeoir qu’elle avait posé sur le sol. Les yeux qu’elle portait sur moi étaient plus calmes que je ne les avais jamais vus. Elle me caressa de nouveau la joue.
— La mort. Elle te suit, toi aussi, chuchota-t-elle, le regard absent. Pas la maladie, comme moi. Non, non, non. Pire. Oh, bien pire. Une ombre, qui plane au-dessus de toi. Une malédiction.
Curieux, je l’écoutai sans rien dire.
— La colère de Dieu, poursuivit-elle sur un ton de commisération. Je la sens. Elle est sombre. Il y a un homme aussi. Non, une femme. Je ne sais pas. Quelqu’un de blond, à l’air sévère, qui ne t’aime pas. Non, non, non. Il ne t’aime pas du tout. Il te méprise. Il te hait. Il aurait préféré que tu meures. Parfois, il t’aide, mais seulement parce qu’il y est contraint par plus puissant que lui. S’il n’écoutait que lui-même, il te ramènerait. quelque part de froid. Tu y serais seul.
Elle m’empoigna le visage à deux mains et l’approcha du sien.
— Un voile sur ton visage, dit-elle d’un ton monocorde. Ta naissance était une chose mauvaise. Tu n’aurais pas dû vivre. Tu apportes le malheur partout où tu passes. Tu dois partir. C’est important. Tu as quelque chose à retrouver. Quelque chose de précieux. C’est pour ça que tu es vivant. Sinon, tu serais mort. Froid. Pourri. Comme Belin et Edelinne.
Tyceline cligna des yeux à plusieurs reprises et secoua la tête en grimaçant. Puis elle grelotta et s’enveloppa de ses bras.
— Une chapelle. Très noire. La Lumière se trouve dans les Ténèbres, prête à jaillir si tu sais la trouver. Un endroit empoisonné ; craint et détesté des prêtres. Un mort t’attend dans son linceul. Un homme humilié et marqué d’infamie.
Elle grimaça, comme si elle ressentait soudain une atroce douleur.
— Le poison. Oh ! Le poison. Il me brûle ! ! ! gémit-elle en se balayant frénétiquement les bras.
Des larmes roulèrent sur ses joues.
— Douze hommes armés. Ils ne veulent pas te laisser passer. Ils protègent leur seigneur et son trésor. C’est cela que tu désires. Mais tu ne l’obtiendras que si tu prouves ta valeur.
Elle émit un petit cri de bête blessée et tourna brusquement la tête en arrière.
— Ils guettent. Ils attendent. Depuis longtemps. Ils sont patients.
Tyceline reporta son regard au-dessus de ma tête. Ses yeux s’écarquillèrent de terreur et elle porta la main à sa bouche. Elle se signa à répétition.
— Un crucifix ! Il est à l’envers ! Le signe du diable !
Elle ramassa le bougeoir qu’elle avait posé sur le plancher près de moi, se leva brusquement et sortit sans se retourner. Je restai là, bouche bée. À sa manière, Tyceline, la pauvre d’esprit, venait de me résumer l’ensemble de ma vie et les paroles de la mendiante.
Je glissai la main dans le col de ma chemise et la fermai sur le sceau du Cancellarius Maximus, qui représentait mon espoir de retrouver la seconde part de la Vérité et de sauver mon âme. Cela me procura un certain réconfort. Mais pas beaucoup.
Deuxième partie
Impostures
Chapitre 7 Incognito
Des voix inquiètes me tirèrent d’un sommeil trop court et confirmèrent mes pires craintes. Je m’assis et fourrai une claque à Ugolin qui dormait comme une souche. Il s’éveilla en sursaut.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il en se grattant les cheveux. Un de ces jours, je vais te les rendre, tes claques.
— Il se passe quelque chose. Les villageois semblent agités. Écoute.
Pernelle s’éveilla à son tour. En moins de deux, nous fûmes debout, nos ceinturons attachés, nos armes à la hanche, nos bottes chaussées. J’ouvris la porte qui séparait notre chambre de fortune de l’autre pièce et j’entrai presque en collision avec Tyceline. En proie à un énervement palpable, elle tournait en rond en se signant compulsivement d’une main, pendant qu’elle aspergeait la pièce avec ce que je devinai être de l’eau bénite contenue dans une petite fiole. Elle regardait nerveusement de tous les côtés, comme si elle craignait un danger qui risquait à tout instant de se manifester.
— Gnnnnn. Gnnnnn. Gnnnnnn. faisait-elle en se mordillant les lèvres.
— Quoi ? Que se passe-t-il ? s’alarma Pernelle en s’empressant auprès d’elle.
Malgré les efforts attentionnés de mon amie, Tyceline ne donna
Weitere Kostenlose Bücher