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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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espoirs d’empocher un profit éhonté venaient de s’envoler en fumée. Je terminais lorsque je vis Viau s’approcher d’un pas alerte qui jurait avec son âge.
    —    Goubert m’a mis au courant pour ton cheval, dit-il.
    —    Les nouvelles vont vite.
    —    Le village est petit.
    —    Pouvons-nous loger quelque part ?
    —    Chez Tyceline. Elle vit seule. Elle vous hébergera et vous nourrira. C’est déjà arrangé. En échange de quelques pièces, évidemment.
    —    Cela va de soi.
    Il héla le jeune homme qui s’était assuré que nous étions seuls lors de notre arrivée et lui désigna les montures de Pernelle et d’Ugolin, qui étaient toujours sur la place.
    —    Bonnin ! Mène ces bêtes à l’étable.
    L’interpellé acquiesça de la tête et s’empressa de se rendre auprès des bêtes, avec lesquelles il s’éloigna.
    —    Venez.
    D’un pas leste, le vieil homme nous conduisit dans la direction opposée, à l’orée du village, jusqu’à une maison un peu délabrée. Puis il me posa une main sur le bras.
    —    C’est ici. Ne vous étonnez pas, dit-il en baissant un peu la voix, Tyceline n’a plus toute sa tête depuis que son mari et sa fillette sont morts des fièvres voilà deux ans. Mais la pauvresse est bien intentionnée. Il suffit de ne pas trop s’attarder aux apparences.
    Il se tourna vers la demeure et mit ses mains en porte-voix.
    —    Tyceline ! Ils sont là !
    Il fallut un moment avant que la porte s’ouvre et qu’une femme en émerge. Ma seconde vie avait été mouvementée et avait placé sur ma route toutes sortes de gens, mais jamais encore quelqu’un d’aussi étrange. Elle n’était ni jeune ni vieille. Ses cheveux noirs, prématurément striés de gris, étaient hirsutes et rayonnaient dans tous les sens, comme si elle ne les avait pas peignés depuis des années. Lorsqu’elle fut plus près, je pus y apercevoir, çà et là, des herbes et des bouts de feuilles. Ses yeux semblaient incapables de fixer un même point plus d’une seconde, comme si elle craignait d’être surprise par une chose terrifiante qui la guettait. Tant ses haillons que sa personne étaient sales à faire peur et l’odeur qui s’en dégageait était en proportion.
    La souillon nous dévisagea en se dandinant sans cesse d’un pied sur l’autre tout en entortillant une mèche de cheveux autour de son index.
    —    Vous êtes malades ? demanda-t-elle sans ambages en se mordillant compulsivement la lèvre inférieure.
    —    Euh. non, répondis-je, interdit.
    —    Vous en êtes sûrs ? Parce que la maladie ne se voit pas toujours, mais elle est partout. Tout le temps. Ça, c’est sûr. Oh oui, aussi sûr que je suis là. Elle m’a pris mon Belin et ma petite Edelinne, la maladie. Elle les a mangés tout crus, les pauvres.
    Elle fourra ses doigts dans sa bouche et se mit à ronger ses ongles noirs de crasse, le regard perdu quelque part, dans le lointain.
    —    Mon mari et ma petite ne sont plus là, marmonna-t-elle en crachant le fruit de ses efforts. Ils sont partis loin. C’est à cause de la maladie. Mais parfois, ils reviennent. Ils me parlent, vous savez.
    Elle releva brusquement la tête.
    —    Vous n’êtes pas malades ?
    —    Il me semble que je viens tout juste de.
    —    Ils sont sains, Tyceline, coupa Viau avec une douceur qui m’étonna. Je te l’assure. Tu peux les recevoir sans danger.
    —    Bien, bien, si tu le dis.
    —    Ils vont dormir chez toi, cette nuit, comme c’était entendu, dit le vieil homme. Tu te souviens ? Nous en avons discuté tout à l’heure.
    —    Oui, oui. S’ils ne sont pas malades.
    Tyceline nous examina une dernière fois.
    —    Venez alors.
    Sans autre cérémonie, elle fit demi-tour et, d’un pas nerveux qui me rappelait étrangement celui d’un oiseau, elle retourna vers sa maison. Aussi abasourdis que moi, Ugolin et Pernelle lui emboîtèrent le pas. J’allais en faire autant lorsque Viau me retint par le bras.
    —    Tyceline est ma fille, dit-il, une grande tristesse brisant sa voix. Elle n’a jamais été la même après les fièvres. Mais elle n’est pas méchante. Vous êtes bien bons d’habiter chez elle. Dieu sait qu’elle a besoin de compagnie. Et d’argent, aussi.
    —    Elle sera bien payée, je te l’assure.
    Le vieil homme hocha la tête en guise de remerciement et, cette fois, ce fut lui qui me tendit la main. Je

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