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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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grâce où l’amour charnel pouvait mener ceux qui partagent plus que le désir. Ailleurs, d’autres soldats, las de patienter, se satisfaisaient entre eux sans la moindre honte, l’un d’eux tenant lieu de femelle. De temps à autre, je croisais une bagarre.
    Tout n’était que stupre, déchéance et perversion. C’étaient là les représentants du pape, envoyés pour défendre le Christ, dans toute leur gloire. Le seul vrai Dieu, dont les chrétiens réclamaient l’exclusivité, n’était, semblait-il, pas regardant de qui défendait sa cause. Innocent encore moins. Tous les moyens étaient bons pour étouffer la Vérité et préserver le pouvoir temporel de l’Église.
    J’avisai enfin une charrette autour de laquelle quelques hommes étaient attroupés. J’attendis que le dernier client soit servi et s’éloigne avant de m’approcher. Un gros homme à l’air jovial et au visage rubicond se frottait les mains, manifestement ravi de ses bonnes affaires.
    —    Bonsoir ! s’exclama-t-il avec un enthousiasme artificiel lorsqu’il me vit.
    —    Bonsoir. Tu as du pain ? m’enquis-je.
    —    Non, mais il me reste du fromage et du vin. De moins en moins, ajouta-t-il en ricanant. Ces mécréants boivent comme des éponges.
    —    Ça fera l’affaire.
    Il se pencha dans sa charrette et en tira une demi-meule de fromage enveloppée dans un chiffon et une outre de vin.
    —    Voilà.
    —    Combien ?
    Le prix qu’il me donna me fit dresser les cheveux sur la tête, mais je payai sans regimber, désirant profiter de l’occasion pour glaner quelques informations si je le pouvais. Je débouchai l’outre et bus une rasade. Le vin avait chauffé au soleil et son goût était aigre, mais je me gardai bien de le dire.
    —    Putain de Dieu, laissai-je tomber en m’étirant théâtralement, il me tarde d’arriver.
    —    Où retournes-tu ?
    —    À Gisors, répondis-je.
    —    Ce n’est pas à côté. Mais au moins, tu ne seras pas seul.
    —    Comment cela ?
    —    La plupart des troupes retournent dans les environs de Paris, mais il s’y trouve aussi un contingent de la région de Rouen. Le sieur de Pierrepont, lui, se rend jusqu’à Gisors avec ses soldats, dit-on. Tu es avec eux ?
    —    Euh. non. Je me suis joint au groupe en chemin, à la fin de ma quarantaine, mentis-je. C’était mieux que repartir tout seul. Qui est ce Pierrepont ?
    —    Tu ne connais pas Alain de Pierrepont ? s’écria-t-il, surpris. Tu es bien le seul ! C’est une véritable légende.
    —    Ah oui ? Raconte.
    Il me toisa, étonné que je m’intéresse à son histoire.
    —    Ce n’est pas comme si j’avais mieux à faire, blaguai-je pour le mettre à l’aise.
    —    Sa Majesté Philippe Auguste ne peut compter sur soldat plus fidèle que le sieur de Pierrepont, reprit-il. C’est un homme de guerre comme il ne s’en fait plus. Une vraie bête, dit-on. Je ne connais personne qui ne le craint pas. Il s’est particulièrement distingué lors de la guerre de Normandie, en l’an 1198, devant Gisors.
    —    Gisors ? répétai-je, surpris. Qu’est-ce qu’il faisait là ?
    —    Pour un habitant de Gisors, tu en sais bien peu sur le passé de ta ville, nota-t-il.
    —    J’ai dit que je m’y rendais, pas que j’y vivais, contrai-je.
    —    Je vois. Eh bien, depuis presque un siècle, les Anglais et les Français s’échangent sans cesse la forteresse. Quiconque la possède tient la Seine. Du temps que la Normandie était anglaise, elle servait à protéger les terres contre le roi de France. C’est même là que l’on a prêché la troisième croisade en 1188.
    —    Tu es bien renseigné.
    —    Je suis de Rouen. Dans notre coin, tout le monde sait cela. Rares sont les familles qui n’ont pas laissé quelques fils sur le champ de bataille. Toujours est-il que le roi doit la vie à Pierrepont. On raconte que lorsque la défaite française devant Gisors est devenue inévitable il a pris sur lui de revêtir l’armure de Philippe et s’est fait passer pour lui afin qu’il puisse fuir. Il a mené les troupes contre les Anglais et a été frappé d’un coup de lance par le roi anglais, Richard Cœur de Lion, en personne !
    —    Le bougre n’a pas froid aux yeux, remarquai-je.
    —    Ça non ! Et il a payé chèrement sa loyauté. Il a été capturé et a croupi dans une cellule à Reims pendant quatre ans.

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