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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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consolamentum. Je plains seulement cette pauvre fille de devoir en vivre.
    —    Fort pauvrement, sans doute, ricana Ugolin.
    Je ne dis rien. L’allusion que venait de faire mon amie au traitement que lui avaient infligé son père puis les brigands d’Onfroi, alors qu’elle n’était encore qu’une fillette sans défense, et enfin Raynal de Saint-Omer, voilà quelques semaines à peine, réveillaient en moi une multitude de sentiments qui restaient toujours trop près de la surface : la rage, la culpabilité et l’impuissance. Cette femme était ma plus vieille amie, ce que j’avais de plus cher au monde, et elle avait beaucoup trop souffert.
    —    Ne sois pas sombre, Gondemar, dit-elle, comme si elle lisait dans mes pensées. Je ne changerais rien à ma vie, même si je le pouvais.
    —    Même Raynal ?
    —    Raynal est arrivé bien trop tard pour me faire du mal. Il n’a atteint que mon corps. Mon âme, elle, est intacte.
    —    Si tu le dis.
    Au troisième soir, nous descendîmes de cheval, heureux de poser les pieds sur la terre ferme.
    — J’ai les fesses en compote, maugréa Ugolin.
    —    Cesse de te plaindre. Elles sont aussi grosses que celles d’un bœuf. Tu peux toujours marcher si tu veux, geignard, l’asticotai-je en riant.
    Je me fis craquer les reins avec satisfaction et avisai un espace libre, un peu en retrait de la route, près d’un grand chêne au feuillage rendu épars par la fin de l’automne. Nous y serions à l’abri des oreilles indiscrètes. Nous nous y rendîmes et laissâmes nos montures brouter tranquillement près d’un petit étang où elles pourraient s’abreuver à satiété. Ugolin eut tôt fait de trouver du bois et, à la nuit tombée, nous étions confortablement installés près d’un feu, nos couvertures sur les épaules. La noirceur nous le permettant, nous avions enlevé nos heaumes. Le temps de le dire, nous nous retrouvâmes presque seuls, les catins s’étant empressées d’aller retrouver les troupes en avant du convoi dans l’espoir de gagner quelques pièces, les familles s’en allant rejoindre le père.
    Pernelle nous passa le peu de pain et de fromage qu’il nous restait, que nous dévorâmes avec appétit. Nous avions fini le vin la veille et il n’était pas question de boire l’eau du ruisselet, dans lequel les soldats à l’avant se soulageaient sans doute.
    —    C’est tout ? demanda le Minervois, les bajoues pleines comme celles d’un écureuil. J’ai encore faim, moi. Et puis, c’est un peu sec.
    —    Tu as raison. Je vais voir ce que je peux faire, dis-je en me levant.
    —    Est-ce prudent ? fit Pernelle. On pourrait te reconnaître.
    —    Il fait noir et je serai prudent.
    J’avais passé ma capeline par-dessus le surcot du croisé. J’en remontai le capuchon pour couvrir ma chevelure distinctive et masquer mon visage, puis je me dirigeai dans la direction où j’avais aperçu les charrettes des marchands pour la dernière fois. Il me restait encore quelques pièces dans la bourse d’Estève et l’un d’entre eux aurait bien un peu de vin à vendre. Dans le noir, je cherchai, mais ne les repérai point. De toute évidence, les marchands considéraient que les soldats représentaient une clientèle plus rentable et avaient poursuivi plus avant leur chemin une fois donné le signal de la halte. Je m’aventurai donc vers la tête du convoi, en quête de l’un d’eux.
    Je me retrouvai bientôt parmi les soldats. Ils étaient plusieurs centaines et le camp était beaucoup plus vaste que je l’avais imaginé. À vue de nez, il semblait couvrir un bon quart de lieue et plus j’avançais, plus on y était entassé. L’ambiance était en tout point semblable à celle qui avait régné jadis devant Béziers. Il avait suffi d’une heure d’arrêt pour que la puanteur s’installe. L’odeur des corps qui n’avaient pas été lavés depuis des mois, des fosses qui se remplissaient d’excréments et celle de la nourriture qu’on faisait rôtir sur le feu se mêlaient d’une façon écœurante. Çà et là retentissaient les rires gras d’hommes déjà ivres regroupés autour de parties de dés et de cartes. Un peu partout, les putains étaient au travail, copulant en plein air sous les encouragements enthousiastes des clients qui attendaient leur tour. Tout cela ne m’inspirait plus que dégoût, moi qui avais eu la chance d’explorer, avec la douce Cécile, l’état de

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