L'Etoffe du Juste
ciseaux qui avaient taillé la pierre. De chaque côté, des cavités avaient été forées pour recevoir les dépouilles. Au centre, sur une plate-forme, Ieschoua était étendu sur le linceul. Son corps portait les traces du martyre qu’il avait subi sur la croix. Autour de la blessure sur son flanc, le sang, qui avait coulé le long de sa cuisse, s’était coagulé. Les marques sanguinolentes laissées sur sa tête par la couronne d’épines étaient bien visibles. Sur ses côtes, je pouvais voir les traces des coups de fouet qui avaient strié son dos.
Sous la direction d’un homme vêtu de blanc, qui se tenait derrière elles, deux femmes l’enduisirent d’onguent de la tête aux pieds. Puis elles le recouvrirent avec l’autre moitié du linceul. Ensuite, tous se retirèrent. Des grognements d’effort suivirent et une grosse pierre ronde fut roulée devant l’ouverture basse qui servait de porte. Ieschoua fut laissé dans le noir.
Trois jours et trois nuits s’écoulèrent avant que la pierre ne soit dégagée à nouveau. La lumière d’une lampe pénétra dans le tombeau. Les disciples y entrèrent, accompagnés du même homme en blanc, qui s’approcha et retira le linceul. Ieschoua ouvrit les yeux et sourit faiblement. Pendant que les autres se réjouissaient, Pierre passa la tête dans la porte du caveau et confirma aux autres que la voie était libre. À la hâte, ils renveloppèrent leur maître, s’assurant de couvrir son visage, et, à la faveur de la nuit, ils l’emportèrent comme des voleurs jaloux d’un précieux butin.
Le soleil m’aveugla. J’étais ailleurs une fois de plus. Une odeur d’épices et de poussière emplissait un air chaud et sec qui ne m’était pas familier. La rue était bordée de petites maisons de briques pâles au toit bas. Un peu partout, des commerçants offraient des marchandises : des poteries, des outils de métal, des tissus, des tapis, des accessoires de cuir et bien d’autres choses encore. Chacun criait pour attirer l’attention des nombreux passants. Partout régnait une réjouissante agitation. Devant moi se trouvait une boutique d’où montaient des chocs réguliers. Sans comprendre ce qui m’y poussait, j’entrai. Un vieil homme au dos courbé par les ans était penché sur une pièce de bois qu’il travaillait consciencieusement avec un maillet et un ciseau. Un charpentier. Malgré l’effet du temps, je le reconnus aussitôt. Ieschoua. Il était à la fin de sa vie. Autour de lui se tenaient plusieurs enfants. L’un d’eux l’appela grand-père et il lui ébouriffa affectueusement les cheveux. Une vieille femme entra et lui tendit un gobelet d’eau en lui souriant avec tendresse. Il l’accepta et se désaltéra. Il semblait heureux.
La scène changea encore. J’étais dans une pièce à l’air cru et humide. La seule lumière qui s’y trouvait était à l’autre extrémité, loin de moi. Me guidant sur elle, j’avançai, chacun de mes pas produisant un écho lugubre. J’avais presque franchi la distance lorsque Pierre surgit de nulle part et me barra le passage, le visage belliqueux. Derrière lui, au fond de la pièce, j’aperçus Ieschoua, tel que je l’avais vu la première fois. Il était nu, hormis le linceul dans lequel on l’avait enveloppé à sa descente de la croix, qui lui descendait maintenant sur l’épaule à la manière d’une toge, et qu’il portait enroulé autour de ses hanches.
— Laisse-le approcher, Pierre, dit-il en ouvrant les bras, car celui-là connaît la Vérité.
Puis il me tendit la main.
— Viens, Lucifer. Nous t’attendons.
Obéissant, le disciple s’écarta et je franchis la distance qui me séparait de Ieschoua. J’allais saisir sa main lorsqu’il disparut. À sa place se tenait Métatron, les yeux enflammés par la colère divine.
— Crois-tu que tout sera aussi facile, damné ? tonna-t-il. T’imagines-tu qu’il te suffira de tendre la main pour qu’on te remette ce que tu cherches ? Que tu pourras échapper à la souffrance et éviter le jugement de Dieu ? Détrompe-toi ! Ton calvaire ne fait que commencer et tu n’as encore rien prouvé ! Va ! Car les ennemis de la Vérité n’attendent pas, eux !
Du bout de sa crosse d’or, il me repoussa violemment. Mon épaule gauche s’enflamma et je fus projeté dans les airs. J’atterris sur le dos et me frappai durement la tête contre le sol. Lorsque je me relevai, j’étais seul dans le noir, avec pour
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