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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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m’avait forcé à le faire. J’étais le seul responsable de mon sort. Je m’étais damné moi-même.
    Je ravalai avec difficulté et me retournai pour apercevoir le jeune Montfort, qui s’était arrêté au bord du chemin et m’observait, l’air perplexe, pendant que les autres passaient derrière lui. Je ne pouvais rester là, évidemment. Je secouai ma torpeur et sortis des bois, remontai sur Sauvage et m’en fus le rejoindre. Je n’avais pas d’autre choix que d’affronter le passé que j’aurais souhaité ne jamais revoir.
    Car, à moins que mes souvenirs ne me trahissent, nous nous trouvions à une journée à peine de Rossal.
    Le soleil venait de se coucher et le jour traînait entre chien et loup. Le vent sifflait dans les branches nues et faisait claquer ma capeline. Une pluie dense me pinçait le visage. Je me trouvais dans un cimetière. Tout autour de moi, à perte de vue, le terrain était piqué de pierres tombales luisantes d’eau. J’étais incapable d’en lire les inscriptions, mais cela était inutile. Je savais déjà qu’elles portaient les noms des morts de Rossal. Mes morts. Ceux qui me suivaient sans relâche depuis que j’avais franchi la frontière vers la damnation. Ceux qui, du paradis, observaient sans doute avec satisfaction la vie à laquelle mes péchés m’avaient condamné.
    Je me mis à marcher, mes pas s’engluant dans la boue épaisse et me conduisant vers une destination qu’ils semblaient déjà connaître. Lorsque je m’arrêtai, je ne fus pas surpris de constater que je me tenais sur la tombe d’Odon. Je restai là, tétanisé par le remords et la terreur. Mes larmes se mêlèrent à la pluie qui mouillait mon visage. Je me fis violence et tentai de partir, mais j’en fus incapable. Mes pieds étaient immobilisés. Je penchai la tête pour voir de quoi il retournait et j’aperçus deux mains qui émergeaient de la terre grasse et détrempée. Elles m’enserraient solidement les chevilles. La chair qui s’en détachait laissait paraître les os à l’extrémité des doigts. Je tentai de les arracher de la morbide emprise, mais n’arrivai à rien. J’étais prisonnier.
    Les mains se mirent à me tirer vers le bas. J’avais beau me débattre de toutes mes forces, je m’enfonçais irrémédiablement. Mes genoux disparurent, puis mes hanches et ma poitrine. Je me retrouvai bientôt enfoui, ma tête seule émergeant du sol. Quand une nouvelle traction me fit m’enfoncer, ma bouche et mon nez s’emplirent de terre et j’étouffai. Un éclair illumina le cimetière avant que mes yeux ne disparaissent à leur tour. Là, dans le noir de la tombe, je vis une forme remonter vers moi. Un corps décharné qui semblait nager dans la terre meuble alors que j’étais immobilisé, à sa merci. Bientôt, le visage putréfié d’Odon me fit face, un sourire desséché sur les lèvres.
    — Quia pulvis es, et in pulverem reverteris 1 , dit-il d’une voix railleuse. J’étais ce que tu es et tu seras ce que je suis. Tu paies déjà pour tes péchés, mais tu paieras encore plus.
    Je m’éveillai en nage en réprimant difficilement un cri de terreur. Je m’assis, haletant. Autour de moi, il faisait nuit. Je secouai la tête pour faire disparaître les images qui y étaient collées, sans beaucoup de succès. Le terrible visage au sourire d’outre-tombe, le ton de cruauté enjouée, tout me restait désespérément en tête. Je saisis l’outre qui gisait près de moi, la débouchai et avalai quelques grandes lampées de vin, respirant profondément pendant que la chaleur de l’alcool chassait le froid qui avait envahi mon âme autant que mon corps.
    Lorsque je me sentis mieux, je jetai un coup d’œil à mes côtés pour m’assurer que le jeune Montfort était en sécurité. À ma surprise, je ne trouvai que sa couverture abandonnée. Aussitôt, l’inquiétude s’empara de moi. Je n’éprouvais guère d’amitié pour ce garçon, mais il m’était essentiel. Sans lui, je n’apprendrais jamais ce que savait son père. Et voilà qu’il avait disparu. Imaginant le pire, je me levai en tentant de me convaincre qu’il était simplement allé se soulager dans les bois et qu’il n’y avait pas lieu de m’alarmer, mais mon instinct me criait le contraire.
    Je me mis à circuler lentement, enjambant et contournant les dormeurs tout en scrutant les alentours sombres. La lumière des feux me permettait d’y voir un peu, mais j’avançais presque à

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