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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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nouveau. En retrait dans la cour arrière, l’étable où Bertrand de Montbard avait fait de moi un homme et un monstre était en grande partie intacte. Un seul de ses murs avait souffert de l’incendie, et on l’avait réparé. Plus loin, l’église en bois que j’avais transformée en bûcher avait disparu. En lieu et place s’élevait une petite chapelle en pierre. Je jetai un regard derrière moi, espérant apercevoir Pernelle, mais le convoi s’étirait sur plus d’une lieue. Elle devrait encaisser seule le choc que la vue du village lui causerait.
    Malgré le mauvais temps, quelques personnes se trouvaient sur la place. L’une d’elles nous aperçut. De loin, je la vis en pousser une autre et nous désigner de la main. Deux silhouettes se détachèrent aussitôt et s’empressèrent vers le manoir. J’en vis une frapper à la porte avec insistance. On ouvrit et une brève discussion s’ensuivit avec quelqu’un à l’intérieur. Puis les deux émissaires avancèrent dans l’entrée et on referma derrière eux.
    Lorsque nous parvînmes sur la place, les habitants de ce que je ne parvenais pas à considérer comme Rossal s’immobilisèrent et nous dévisagèrent avec appréhension. Insensibles à leurs vêtements trempés, les cheveux collés à la tête par la pluie, les hommes et les femmes, tous jeunes, autour desquels s’agitaient quelques enfants, semblaient attendre quelque chose. La plupart toussaient à se cracher les poumons et je me sentis soudain nerveux. Je ne connaissais que trop bien les effets ravageurs que pouvait avoir la maladie sur un village.
    La porte du manoir - mon manoir - s’ouvrit une fois de plus et les deux individus qui s’y étaient précipités en sortirent. Ils furent bientôt suivis par deux autres. À en juger par son pas leste, le premier était jeune. Il offrait son support à une silhouette courbée qui avançait avec peine en claudiquant, enveloppée dans une bure brune de toile grossière dont le capuchon masquait un visage que je n’avais nul besoin de voir pour savoir qu’il s’agissait d’un vieillard. Le plus jeune fut pris d’une quinte de toux qui le fit plier en deux et le força à s’arrêter un peu, puis, après que le plus vieux lui eut administré une solide claque sur la nuque, les deux se remirent en marche. Lorsqu’ils furent devant Alain de Pierrepont, ils s’arrêtèrent. Entre-temps, toute la population du village, une quarantaine de personnes tout au plus, était sortie pour observer les nouveaux venus. Elle se regroupa sur la place, derrière le vieillard qui était visiblement son meneur, et posa sur les soldats un regard d’inquiétude bien compréhensible.
    — Soyez les bienvenus à Rossal, soldats de Dieu, dit le vieil homme d’une voix grinçante au ton obséquieux.
    Cette voix, je l’aurais reconnue entre mille. Lorsque le vieillard rabattit son capuchon et nous dévisagea, mon sang se glaça dans mes veines. L’espace d’un instant, j’eus la certitude d’être retombé dans mon enfance. Certes, il n’était plus vêtu de peaux de bête et ses cheveux, maintenant blancs comme neige, étaient propres et sa barbe entretenue. Il était toujours maigre comme un roseau, cependant, et son dos qui arborait une grosse bosse s’était voûté. Puis je vis le crucifix de bois. Le même que voilà tant d’années, enfilé sur un cordon de chanvre. Il pendait toujours sur la poitrine d’où avaient tonné les mots qui, jadis, avaient prophétisé ma destinée. Au-delà de tout cela, ce furent les yeux qu’il posait sur nous qui me frappèrent. Ils étaient toujours noirs comme la nuit, au point que la pupille semblait se fondre à l’iris. Incroyablement, deux décennies plus tard, il était toujours vivant. Il devait avoir dans les quatre-vingts ans, peut-être plus, mais Dieu l’avait laissé terroriser autrui. Saisi par une peur viscérale qui surgissait soudain de ma plus tendre enfance, je remontai encore un peu plus mon capuchon, de crainte d’être reconnu.
    Puis je remarquai celui qui l’accompagnait. Il était maintenant un jeune homme et portait une barbe encore clairsemée. Il avait toujours les cheveux noirs comme de la suie et ses grands yeux émerveillés étaient les mêmes. Je dus ravaler le sanglot qui me remontait dans le gosier. La voie de la Vérité exigeait de moi que j’affronte les spectres de mon passé et je n’étais pas certain d’en avoir la force.
    Car devant Alain de Pierrepont se

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