L'Étreinte de Némésis
même s’il n’était pas
content de sa place. Je me tournai vers lui pour me rendre compte par moi-même.
C’est vrai qu’il faisait des grimaces, fronçant le nez et ne cessant de tirer
la langue.
— Mais
il a l’air drôle, admit la femme. Comme un de ces masques grotesques de
comédie.
Elle
se mit à rire et son mari fit de même.
Mais
Dionysius ne recherchait pas quelque effet comique. Il se prit la gorge entre
les mains. Un spasme le secoua. Il respirait par la bouche comme s’il
étouffait. La langue à demi sortie, il essaya de parler. D’où je me trouvais,
les mots déformés étaient à peine audibles.
— Ma
langue, haleta-t-il. Ça brûle… De l’air, de l’air !
D’autres
convives commençaient à le remarquer. Les esclaves s’arrêtèrent de servir. Les
invités tournèrent la tête pour voir Dionysius se convulser soudain. Il mit les
mains sur sa poitrine, comme s’il essayait d’arrêter ses spasmes. Sa langue
semblait le gêner de plus en plus.
Dionysius
se plia en deux et se mit à vomir.
Bon
nombre d’invités se levèrent précipitamment. L’agitation se propageait
progressivement jusqu’à la pièce centrale. Gelina fronça les sourcils, l’air
inquiet. Un moment plus tard, les murmures gagnaient la dernière salle.
Crassus, qui riait d’une plaisanterie d’Orata, tourna la tête et essaya de
comprendre ce qu’il se passait. Il me vit. Je lui fis signe de venir
rapidement. Gelina se leva. Elle se hâta vers moi. Crassus la suivit sans hâte.
Ils
arrivèrent tous deux à temps pour voir le philosophe vomir une autre giclée
verdâtre. Un demi-cercle d’invités, debout, le regardaient, effrayés. Je me
frayai un passage. Au moment où j’arrivai à hauteur de Crassus, les convives
reculaient d’un pas. Le philosophe venait de s’oublier.
La
puanteur fit grimacer Crassus. Gelina s’approcha de Dionysius pour l’aider,
mais elle avait peur de le toucher. Soudain, le philosophe eut une convulsion
et tomba la tête la première sur la table. La foule battit en retraite afin d’éviter
les projections de bile.
La
coupe qui avait contenu le breuvage s’envola et vint atterrir à mes pieds dans
un fracas métallique. Je m’agenouillai pour la ramasser et examinai l’intérieur.
Il n’y avait plus que quelques gouttes vertes. Dionysius avait tout bu.
Crassus
attrapa mon bras avec une poigne de fer.
— Par
l’Hadès, que se passe-t-il ? demanda-t-il sans desserrer les dents.
— Un
meurtre, je pense. Zénon et Alexandros auraient-ils de nouveau frappé ?
Cette
remarque n’amusa pas Crassus.
Quatrième partie
Les jeux funéraires
1
— Les
catastrophes s’enchaînent !
Crassus
cessa de faire les cent pas et me regarda comme s’il me rendait responsable de
toutes ces complications.
— Je
crois que je vais vraiment être heureux de me retrouver relativement au calme
et en sécurité à Rome. Cet endroit est maudit !
— Je
suis d’accord, Marcus Crassus. Mais maudit par qui ?
Je
regardais le cadavre de Dionysius, allongé sur le sol de la bibliothèque.
Crassus avait ordonné à ses hommes de l’y porter, pour le soustraire à la vue
des invités. Eco observait aussi le visage décomposé du mort. Il était
apparemment fasciné par la langue de Dionysius, qui refusait de rentrer dans la
bouche.
Crassus
se boucha le nez.
— Emporte-le !
hurla-t-il à l’un de ses gardes du corps.
— Où
devons-nous le mettre, Marcus Crassus ?
— N’importe
où ! Trouve Mummius. Lui te dira ce qu’il faut en faire. Moi, je ne veux
simplement plus le voir. Maintenant que je ne suis plus obligé d’écouter cet
idiot, je ne vais certainement pas m’imposer sa puanteur.
Il
fixa son regard sur moi.
— Alors,
Gordien ? Empoisonné ?
— Étant
donné les symptômes et les circonstances, on peut le supposer.
— Mais
la pièce était pleine de monde en train de manger. Et personne d’autre n’a été
touché par le poison.
— Parce
que personne n’a bu dans la coupe de Dionysius. Il avait cette habitude, tu
sais, de boire une décoction de plantes avant le déjeuner et à l’heure du
dîner.
Crassus
cligna des yeux et haussa les épaules.
— Ah
oui, je me souviens l’avoir entendu vanter les vertus de la rue et du silphium
lors d’autres repas. Encore une autre de ses manies exaspérantes.
— Dans
ces conditions, il était facile de l’empoisonner : lui seul buvait cette
préparation et
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