L'Étreinte de Némésis
brutal avec la jeune esclave qui courut
le chercher aux cuisines. Quelques instants plus tard, elle revint les mains
tremblantes et posa la coupe sur une petite table, devant lui.
Je
passai en revue les différents lits de la pièce. Je ne connaissais personne. De
ma place, je pouvais voir les autres salles. En m’appuyant sur un coude, j’aperçus
Crassus qui buvait du vin et discutait avec Sergius Orata. Orata avait été le
premier à me parler de la richesse soudaine et inexpliquée de Lucius Licinius.
M’avait-il dit tout ce qu’il savait ? Pouvait-il être le mystérieux
partenaire impliqué dans les trafics de Lucius ? Avec son visage rond,
affable, suffisant, je le voyais mal assassiner. Mais, par expérience, je
savais que les riches étaient capables de tout.
Allongé
près de Crassus, Marcus Mummius avait l’air nerveux et triste – il y
avait de quoi puisque son supérieur avait repoussé toutes ses tentatives pour
sauver Apollonius. Étant donné le conflit qui l’opposait aussi à Lucius
Licinius à propos du jeune esclave, il me semblait aussi invraisemblable que l’officier
fût ce partenaire mystérieux. Certes, pensai-je, Mummius aurait eu le temps de
faire l’aller et retour entre le lac Lucrin et la villa la nuit du meurtre. Il
aurait pu proposer encore une fois d’acheter le jeune garçon ? Si Lucius
était aussi têtu que son cousin, il avait probablement refusé de nouveau.
Mummius ne serait-il pas entré dans une rage meurtrière ? Si tel était le
cas, il aurait involontairement mis en mouvement le processus de destruction de
l’objet même de son désir, Apollonius. Et la seule façon de sauver l’esclave
serait d’avouer sa propre culpabilité. Il avait de quoi être désespéré !
Mes
yeux tombèrent sur le « bras gauche » de Crassus, Faustus Fabius, à
la mâchoire hautaine et aux cheveux flamboyants. Il avait rencontré Lucius
Licinius en même temps que Mummius. L’occasion lui avait donc été donnée d’établir
des liens avec Licinius et de devenir son partenaire. Se serait-il embarqué
dans cette aventure sans doute fabuleusement lucrative, mais aussi
extraordinairement dangereuse ? Fabius venait d’une famille patricienne
assez pauvre aujourd’hui, mais je savais en fait très peu de choses de lui. De
tels hommes portent des masques plus impénétrables que les moulages en cire de
leurs ancêtres défunts. Les Fabius étaient présents à la naissance de la
République. Leur famille avait compté certains des premiers consuls élus. Ils
avaient aussi été parmi les premiers à porter la toge bordée de pourpre et à s’asseoir
sur le trône d’ivoire arraché aux rois. Il semblait présomptueux de soupçonner
un homme d’aussi illustre naissance de meurtre. Pourtant cet instinct
sanguinaire était dans leur sang de patriciens. Sinon, comment auraient-ils pu,
à l’origine, renverser les rois, écraser leurs frères romains et devenir les
premiers patriciens ?
Plus
proche de nous, dans la pièce centrale, présidait Gelina. Il était peu probable
qu’elle fut la coupable. Tout indiquait que son amour pour son époux avait été
sincère, et que son chagrin était profond. Quant à Iaia, malgré la piètre
opinion qu’elle avait de Lucius, sa culpabilité me paraissait invraisemblable.
Sans parler du fait qu’elle et Olympias se trouvaient à Cumes la nuit du meurtre.
C’est en tout cas ce qui m’avait été raconté. Au demeurant, est-ce qu’une
femme, dont Olympias, aurait eu la force de fracasser le crâne de Lucius avec
la lourde statuette puis de traîner son corps vers l’atrium ? Et, a
fortiori , de transporter des faisceaux d’armes de l’abri à bateaux jusqu’à
l’embarcadère, avant de m’assommer à moitié ?
Compte
tenu de son âge, la même remarque pouvait s’appliquer à Metrobius. Mais il
méritait d’être surveillé. Il avait appartenu au cercle intime de Sylla, et par
conséquent devait avoir peu de scrupules. Cet homme nourrissait au fond de lui
de vieilles rancîmes. Sa tirade contre Mummius me l’avait prouvé. Retiré de la
scène, privé de son bienfaiteur, dépossédé de sa légendaire beauté par le temps
qui passe, à quoi pouvait-il bien consacrer son énergie inépuisable ? Il
était très proche de Gelina et méprisait Lucius. Aurait-il pris prétexte de la
détresse de Gelina pour tuer son mari ? Était-il le partenaire mystérieux ?
Même s’il haïssait Lucius, ce sentiment ne l’aurait
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