Lettres - Tome II
de conduite que je vous donne, mais mon goût. Et même ne savez-vous pas combien de gens sont choqués par ces plaisirs qui nous séduisent et nous charment, vous et moi, parce qu’ils les jugent tantôt sots, tantôt insupportables ? Combien, dès qu’un lecteur, un joueur de lyre ou un comédien paraît, demandent leurs chaussures pour s’en aller ou bien restent allongés, n’éprouvant pas moins d’ennui que vous, quand vous avez subi ces monstruosités, ainsi que vous les appelez ! Montrons donc de l’indulgence pour les plaisirs d’autrui, afin d’en obtenir pour les nôtres. Adieu.
XVIII. – C. PLINE SALUE SON CHER SABINUS.
L’heureuse mémoire.
Votre lettre me montre avec quelle attention, avec quel soin, avec quelle mémoire enfin vous avez lu mes opuscules. C’est donc vous-même qui vous cherchez de l’embarras, en me priant et me sollicitant de consentir à vous en communiquer le plus grand nombre possible. Je le ferai, mais par fractions et comme par lots, afin que cette excellente mémoire, à laquelle je rends grâce, ne soit pas brouillée par la continuité et l’abondance de mes envois, et ne risque pas, surchargée et presque accablée, de sacrifier chaque ouvrage à tous les autres et les premiers reçus aux derniers. Adieu.
XIX. – C. PLINE SALUE SON CHER RUSO.
La renommée.
Vous me dites avoir lu dans une de mes lettres que Verginius Rufus ordonna de graver sur son tombeau :
« Ici repose Rufus qui, après avoir abattu Vindex, chercha l’empire non pour lui, mais pour son pays. » Vous le blâmez de l’avoir ordonné. Vous ajoutez qu’avec plus de raison et de sagesse Frontinus {79} défendit de lui élever aucun tombeau, et, en terminant, vous me demandez ce que je pense de tous les deux.
Tous les deux ont été mes amis, et celui que vous blâmez est celui que j’admirais le plus. Je l’admirais au point de ne pas croire qu’on pût jamais louer assez un homme, dont je me vois obligé aujourd’hui de prendre la défense. À mon avis, tous ceux qui ont accompli quelque grande action, digne de mémoire, me paraissent non seulement très excusables, mais tout à fait louables, s’ils recherchent l’immortalité, qu’ils ont méritée, et s’ils s’efforcent d’assurer une longue gloire à un nom qui ne doit pas périr, même par des inscriptions funéraires.
Et je ne vois guère que Verginius, pour montrer autant de réserve dans son apologie, qu’il a mérité de gloire par sa conduite. Je puis l’attester, quoiqu’il m’accordât en toute intimité son amitié et sa confiance, une seule fois en tout je l’ai entendu s’enhardir jusqu’à rapporter cet unique trait de lui : un jour Cluvius lui aurait dit : « Vous savez, Verginius, quelle fidélité est due à l’histoire ; si donc vous lisez dans la mienne quelque récit différent de ce que vous désireriez, pardonnez-moi, je vous prie. » Il répondit : « Ignorez-vous donc, Cluvius, que le but de toute ma conduite a été de vous donner, à vous autres, la liberté d’écrire ce qui vous plait ? »
Maintenant comparons-lui cet excellent Frontinus en cela même où il vous paraît plus modeste et plus retenu. Il défendit qu’on lui érigeât un tombeau, mais en quels termes ! « La dépense d’un tombeau est superflue ; ma mémoire durera, si je l’ai mérité par ma vie. » Jugeriez-vous donc plus réservé d’après vous de donner à lire à tout l’univers que votre mémoire durera, que de marquer en un coin du monde par deux petits vers ce que vous avez fait ?
Mon intention d’ailleurs n’est pas de blâmer l’un, mais de défendre l’autre ; or quelle défense peut trouver plus de crédit auprès de vous que la comparaison avec celui que vous lui avez préféré ? Mais, à mon avis, ni l’un ni l’autre n’est blâmable, puisque tous deux ont marché à la gloire, avec une égale ardeur, mais par des chemins contraires, l’un en réclamant les titres qui lui sont dus, l’autre en préférant montrer qu’il les méprisait. Adieu.
XX. – C. PLINE SALUE SON CHER VENATOR.
Les vendanges.
Votre lettre m’a fait d’autant plus de plaisir, qu’elle était plus longue, surtout qu’elle roulait tout entière sur mes modestes ouvrages ; que vous y trouviez de l’agrément, je n’en suis pas surpris, puisque vous aimez tout ce qui vient de moi comme moi-même. Pour moi, je suis, juste en ce moment, en train de cueillir des
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