Lettres - Tome II
depuis longtemps perdue, de veiller à l’intérêt de l’état au risque de s’attirer des haines personnelles, pour avoir enfin déchargé le sénat du mépris, dont l’accablaient les autres ordres, lui reprochant de réserver sa sévérité pour les autres citoyens et d’épargner les sénateurs seuls, qui feignaient pour ainsi dire de ne pas voir les fautes les uns des autres.
Tout cela s’est passé en l’absence de Certus ; soit qu’il ait flairé quelque chose de semblable, soit, selon l’excuse qu’on donnait {76} , qu’il fût malade. L’empereur ne demanda pas au sénat de poursuivre l’affaire. J’obtins cependant ce que j’avais cherché. Car le collègue de Certus reçut le consulat et Certus un successeur ; on fit exactement ce que j’avais demandé dans ma conclusion : « Que Certus restitue sous le meilleur des princes la récompense qu’il a reçue du pire. »
Dans la suite j’ai rédigé mon discours de mémoire, aussi bien que j’ai pu, et j’y ai ajouté beaucoup. Il survint un événement fortuit, mais que l’on ne crut pas fortuit : très peu de jours après la publication de mon discours écrit, Certus tomba malade et mourut. J’ai ouï dire qu’une image hantait sans cesse son esprit, se présentait sans cesse devant ses yeux ; il croyait me voir le menacer une épée à la main. Est-ce vrai ? Je n’oserais l’affirmer ; mais il serait d’un bon exemple qu’on le crût vrai.
Voilà une lettre qui, par rapport à la mesure ordinaire d’une lettre, n’est pas moins longue que les écrits que vous avez lus ; mais prenez-vous en à vous seul, qui n’avez pas su vous contenter des écrits. Adieu.
XIV. – C. PLINE SALUE SON CHER TACITE.
Regard jeté sur la postérité.
Vous êtes avare d’éloges pour vous, et moi je n’écris jamais avec plus de confiance que quand je parle de vous. La postérité prendra-t-elle quelque intérêt à nous ? Je ne sais, mais il est certain que nous le méritons, je ne dis pas par notre talent (ce serait de l’orgueil), mais par notre application, notre travail et notre respect de la postérité. Continuons seulement dans la voie que nous nous sommes tracée ; si elle n’en a toujours conduit qu’un petit nombre à une renommée éclatante, elle en a sauvé beaucoup de l’obscurité et du silence. Adieu.
XV. – C. PLINE SALUE SON CHER FALCO.
La liberté à la campagne.
Je me suis réfugié dans ma villa de Toscane {77} afin de pouvoir y vivre entièrement à mon gré. Mais c’est impossible, même en Toscane ; tant les paysans me tracassent de leurs innombrables requêtes et de leurs plaintes, que je lis avec un peu plus de répugnance encore que mes propres écrits ; car même les miens m’ennuient. Je retouche en effet quelques petits plaidoyers, travail à la fois fastidieux et pénible, après un assez long intervalle. Mes comptes sont négligés, comme si j’étais absent. Pourtant je monte quelquefois à cheval et je joue le rôle de propriétaire jusqu’à parcourir quelque partie de mes domaines, mais à titre de promenade. Vous, conservez votre habitude, et tenez-moi au courant, pauvre campagnard que je suis, des faits de la ville. Adieu.
XVI. – C. PLINE SALUE SON CHER MAXIMILIANUS.
Le gibier nouveau.
Que vous ayez pris le plus vif plaisir à votre genre de chasse si fructueux, rien d’étonnant, puisque vous m’écrivez en historien que l’on n’a pu faire le dénombrement du butin. Pour moi, je n’ai ni le loisir, ni l’envie de chasser ; le loisir, parce que les vendanges sont en train ; l’envie, parce qu’elles sont maigres. J’encaverai cependant en guise de moût nouveau quelques petits vers et pour satisfaire à votre si aimable demande, aussitôt qu’ils me paraîtront assez dépouillés par la fermentation, je vous les enverrai. Adieu.
XVII. – C. PLINE SALUE SON CHER GENITOR.
Les bouffons à table.
J’ai reçu la lettre dans laquelle vous vous plaignez de l’ennui que vous a causé un dîner, d’ailleurs somptueux, à cause des bouffons, des mignons, des fous, qui circulaient autour des tables {78} . Ne voulez-vous pas vous dérider un peu ? Moi, je n’ai point de ces gens chez moi, mais je tolère ceux qui en ont. Pourquoi n’en ai-je point ? Parce que je ne trouve aucun agrément de surprise et de gaieté, aux mots obscènes d’un mignon, aux impertinences d’un bouffon, aux inepties d’un fou. Ce n’est pas une règle
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