Lettres
droit est plein d’égratignures assez profondes et mon autre problème, c’est qu’on est le 20 et que F. Lune (21) n’est pas venue me rendre visite, ce qui est extrêmement inquiétant. Le docteur Díaz Infante (qui est un amour) ne veut pas continuer à me soigner : il dit qu’il habite trop loin de Coyoacán et qu’il ne peut pas abandonner un patient pour venir à mon chevet dès que je l’appelle ; il a donc été remplacé par Pedro Calderón, de Coyoacán. Tu te souviens de lui ? Bon, étant donné que chaque docteur a un avis différent sur la même maladie, Pedro a bien évidemment trouvé que tout allait à merveille chez moi, sauf le bras : il se demande si je pourrai le tendre à nouveau, car l’articulation est en bon état mais le tendon est contracté, ce qui m’empêche de déplier le bras vers l’avant, et si jamais je peux y arriver un jour, ce sera à force de massages, de bains d’eau chaude et de patience. Tu n’imagines pas à quel point j’ai mal ; chaque fois qu’on me tire d’un côté, ça me fait monter des litres de larmes, même s’il ne faut croire ni les chiens qui boitent ni les femmes qui pleurent, à ce qu’on dit. J’ai aussi très mal au pied, mais rien d’étonnant à ça : il est en bouillie ; et en plus ça me lance horriblement dans toute la jambe ; je me sens mal, comme tu peux t’en douter, mais il paraît qu’avec du repos ça va cicatriser et que petit à petit je pourrai remarcher.
Et toi, comment vas-tu ? Moi aussi je veux connaître tous les détails, vu que là-bas, à l’hôpital, je ne pouvais rien demander aux garçons, et maintenant, ça va être encore plus compliqué de les voir, je ne sais pas s’ils voudront venir chez moi… et toi non plus, tu ne dois pas en avoir très envie… Surtout n’aie pas honte devant ma famille, et encore moins devant ma mère. Demande à Salas, il te dira comme Adriana et Mati sont gentilles. En ce moment, Mati ne me rend pas très souvent visite parce que ça contrarie ma mère ; le jour où elle vient, maman ne met pas un pied dans la maison. La pauvre, elle qui a été si bonne avec moi cette fois-ci, mais tu sais que les gens ont des idées bien arrêtées et on n’y peut rien, il faut faire avec. Enfin bref, si tu continues à m’écrire mais que tu ne viens pas me voir, je trouverai ça injuste, rien ne me ferait plus de peine au monde. Tu peux venir avec les garçons un dimanche, ou un autre jour si tu préfères, ne sois pas méchant, mets-toi juste à ma place : j’en ai pour cinq (5) mois de calvaire et, pour couronner le tout, je m’ennuie à crever, parce que, en dehors du paquet de vieilles qui viennent me rendre visite et des petits morveux du coin, qui de temps en temps se rappellent que j’existe, je reste seule comme une âme en peine, ce qui n’est pas fait pour apaiser mes souffrances. La seule qui reste avec moi, c’est Kity, et tu la connais, pas besoin de te faire un dessin ; je dirai à Mati de venir le jour où vous viendrez, vu qu’elle connaît déjà les garçons, en plus elle est très gentille, et Adriana pareil ; quant au Blondinet (22) , il n’est pas là, mon père non plus, ma mère ne me dit rien, alors je vois pas pourquoi tu aurais honte puisque tu n’as rien fait. Tous les jours, on me transporte dans mon lit jusqu’au couloir, parce que Pedro Calderas (23) veut que je prenne l’air et le soleil, donc je ne suis pas enfermée comme dans ce satané hôpital.
Bon, mon Alex, je sens que je te fatigue alors je te dis au revoir et à très bientôt j’espère, d’accord ? N’oublie pas le bilboquet et mes friandises. Je te préviens : maintenant que j’ai retrouvé l’appétit, je veux avaler du consistant.
Le bonjour chez toi et, s’il te plaît, dis aux garçons de ne pas me faire le sale coup de m’oublier maintenant que je suis rentrée à la maison.
Ta petite
Friducha
*
Lundi 26 octobre 1925
Alex,
Je viens de recevoir ta lettre et, j’avais beau l’attendre depuis longtemps, elle a soulagé beaucoup de mes douleurs. Imagine un peu : dimanche, à neuf heures, on m’a chloroformée pour la troisième fois, pour abaisser le tendon de mon bras, qui était contracté, comme je te l’ai déjà expliqué ; mais à dix heures l’effet du chloroforme avait disparu, et j’en ai bavé jusqu’à six heures du soir ; là, on m’a injecté du Sedol, mais sans effet, les douleurs ont
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