Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Lettres

Titel: Lettres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frida Kahlo
Vom Netzwerk:
Wolfe
    Mercredi 13,1938
     
    Ma chère Ella,
    Voilà des siècles que je veux t’écrire, mais comme toujours, va savoir ce que je fabrique, jamais je ne réponds aux lettres comme le font les gens bien… Bon, ma fille, laisse-moi te remercier pour ta lettre, et puis c’est tellement gentil de ta part de t’occuper des chemises de Diego. En revanche, je suis désolée de ne pas pouvoir te fournir les mesures que tu me demandes   : j’ai beau fouiller dans son col, je ne trouve nulle trace de ce qui pourrait ressembler au numéro du tour de cou de don Diego Rivera y Barrientos. À mon avis, au cas où cette lettre arriverait à temps, ce dont je doute very much , il vaudrait mieux que tu dises à Martin (72) d’avoir la gentillesse de m’acheter six chemises, les plus grandes qui existent à Niouyork, celles dont on a peine à croire qu’elles puissent aller à quelqu’un, autant dire les plus grandes de cette planète communément nommée Terre. Je crois qu’on peut en trouver dans les boutiques pour marins, sur une rive de New York dont… je suis incapable de me souvenir pour te la décrire comme il faudrait. Bref, si tu ne trouves pas, eh bien… tant pis. OK   ? Quoi qu’il en soit, je vous remercie, toi et lui, de votre gentillesse.
    Au fait, ma fille, il y a quelques jours Diego a reçu la lettre de Boit, il te demande de le remercier de sa part et de lui envoyer, s’il te plaît, par le biais de Martin, le « blé » de Covici et le « blé » du monsieur qui lui a acheté le dessin ou l’aquarelle. Parce que, effectivement, plusieurs lettres se sont perdues et la raison que donne Boit dans sa lettre est la bonne. Donc chaque fois qu’il s’agira d’espèces sonnantes et trébuchantes, il vaudra mieux avoir recours à un envoi spécial, pour éviter que des vauriens ne mettent la main dessus. Comme tu peux le constater, mon lexique est chaque jour plus fleuri, et tu comprendras l’importance d’une telle acquisition culturelle eu égard à ma déjà très vaste et basse culture. Diego passe le bonjour à Boit, ainsi qu’à Jay, à Jim et à tous les potes.
    Si tu veux en savoir plus sur ma personne en particulier, voici quelques nouvelles   : depuis que vous avez quitté ce beau pays, je continue à claudiquer du sabot, bref, j’ai mal au pied. Rien de neuf depuis ma dernière opération (il y a tout juste un mois) et ça fait quatre fois que je me fais charcuter. Comme tu pourras le comprendre, je me sens vraiment « poifect » et avec une seule envie   : celle d’expédier tous ces docteurs paître chez leurs génitrices en faisant un détour par chez Adam et Ève pour voir si j’y suis. Mais comme ça ne suffira ni à me consoler ni à me venger de toutes ces crasses, j’évite les expéditions et autres expédients, et me voilà transformée en véritable « sainte », dotée de la patience et des attributs de cette faune très spéciale. Tu peux dire à Boit que je suis désormais sage comme une image, c’est-à-dire que je n’enchaîne plus les… larmes… de cognac, tequila, et cetera… ce que je considère comme un nouveau pas en avant vers la libération des classes opprimées. Je buvais pour noyer ma peine, mais cette garce a appris à nager. Du coup, je suis accablée par la décence et les bonnes manières…   ! D’autres choses plus ou moins désagréables me sont arrivées, mais je te les épargne car elles sont insignifiantes. Le reste, la vie quotidienne, et cetera, tout est pareil à l’exception des changements naturels dus à l’état lamentable dans lequel est le monde   ; quelle philosophie et quelle compréhension   !
    En dehors des maladies, des problèmes politiques, des visites de touristes ricains, des lettres perdues, des disputes riveresques, des soucis d’ordre sentimental, et cetera, ma vie est, comme dans le poème de López Velarde…, pareille à son miroir quotidien. Diego est lui aussi tombé malade, mais il est presque totalement remis d’aplomb   ; il continue à travailler comme d’habitude, beaucoup et bien, il est un peu plus gros, toujours aussi bavard et glouton, il s’endort dans la baignoire, lit les journaux dans les W-C et passe des heures à jouer avec monsieur Fulang Chang (73) , à qui il a trouvé une compagne, mais malheureusement la dame en question est un peu bossue et ce cher monsieur ne l’a pas trouvée suffisamment à son goût pour consommer le mariage tant espéré, donc toujours pas de descendance.

Weitere Kostenlose Bücher