Lettres
choses.
Tout s’est arrangé à merveille, j’ai une de ces veines. Il y a ici une foule de gens qui m’aiment beaucoup et ils sont d’une amabilité sans bornes. La seule chose que je trouve un peu limite, c’est que Levy n’a pas voulu traduire la préface d’A. Breton, c’est vaguement prétentieux de sa part, mais bon, que veux-tu qu’on y fasse ? Toi, qu’est-ce que tu en penses ? La galerie est plutôt chouette et les tableaux sont très bien disposés. Tu as lu Vogue ? Il y a trois reproductions dont une en couleurs – celle que je trouve la plus sensas – et il va aussi paraître quelque chose dans Life cette semaine.
J’ai vu deux merveilles dans une collection privée : un Piero della Francesca, que j’ai trouvé absolument géant, et un petit Greco, le plus petit que j’aie jamais vu, mais le plus extra de tous. Je vais t’envoyer les reproductions.
Écris-moi si jamais tu te souviens de moi un jour. Je vais être ici deux ou trois semaines. Je t’aime plus que fort.
Passe le bonjour à Mir et à Rebe. Áurea est ici, plus acceptable qu’auparavant.
Lettre à Diego Rivera
New York, 9 janvier 1939
Mon joli petit môme,
Hier, je t’ai parlé au téléphone et je t’ai senti un peu triste. Je m’inquiète pour toi. J’aimerais bien recevoir ta lettre avant mon départ, pour en savoir plus sur Coyoacán et sur toute cette affaire. Ici, deux articles ont paru dans le News , à propos du vieux et du général. Je te les envoie pour que tu te voies à quel point ils peuvent être bêtes dans ce putain de pays, ils disent que Lombardo (74) est un trotskiste furibond, etc., etc.
Tu sais que je vais passer cette dernière semaine chez Mary. Elle est venue me chercher hier soir, parce que David veut que je me repose et que je dorme bien avant d’embarquer ; cette sale grippe m’a achevée, elle a fait de moi une misérable loque. Tu me manques, mon tout beau, tellement que parfois j’ai une furieuse envie de partir à Mexico, d’ailleurs la semaine dernière j’ai failli me dégonfler pour le voyage à Paris, mais comme tu le dis si bien, ce sera peut-être ma dernière occasion d’y aller, alors je vais faire contre mauvaise fortune bon cœur et mettre les bouts. Je serai de retour à Mexico en mars car je n’ai pas l’intention de rester plus d’un mois à Paris…
Mary va m’aider à faire ma valise, parce que, avec cette maudite maladie, je n’ai rien pu faire. Je n’ai pas pu finir le tableau de Mme Luce (75) , je le terminerai à Paris car je suis à bout de forces : pendant cinq jours j’ai eu de très fortes fièvres et je suis épuisée, à deux doigts de clamser. Et pour couronner le tout, j’ai mes règles, je suis complètement lessivée. La pauvre Mary a été une mère pour moi, David et Anita pareil, de temps en temps ils me grondent tellement que la Terre en tremble, notamment quand je désobéis aux médecins, tu me connais, mais je me suis évité la pneumonie, heureusement parce que j’en aurais bien bavé. Il a fait un vache de froid, tout le monde se traîne une bronchite ou quelque chose dans le genre, et je me fais gronder parce que je ne porte pas de sous-pull en laine, mais pour tout te dire, ils piquent et je ne supporte pas d’avoir ça sur ma peau.
Ça m’a fait plaisir de savoir que tu avais aimé le portrait que j’ai fait pour Goodyear (76) . Lui, il est ravi, et pour mon retour il m’a commandé celui de Katherine Cornell et celui de sa fille, mais ce sera en octobre, quand tu reviendras avec moi, parce que je ne vais pas attendre plus longtemps sans toi. J’ai besoin de toi comme de l’air pour respirer et c’est un véritable sacrifice que d’aller en Europe, car tout ce que je veux c’est mon petit môme tout près de moi .
J’ignore quels sont les projets des Breton car ils ne m’ont plus jamais écrit, ils n’ont même pas répondu au télégramme que je leur ai envoyé la semaine dernière. J’imagine qu’ils vont m’attendre à Cherbourg ou là où le bateau fera escale, sinon je me demande ce que je pourrais bien foutre dans cette contrée que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam.
Mon amour, ne joue pas trop avec Fulang, tu as vu ce qu’il a fait à ton pauvre œil, contente-toi de le regarder de loin, et qu’il ne s’avise pas de te faire mal pour de bon parce que je le tue. Et ce cher raton laveur ? Il doit être énorme maintenant. Empêche-le de chasser trop souvent, c’est
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