Lettres
Diego continue à perdre toutes les lettres qu’il a entre les mains, il laisse traîner ses papiers n’importe où… il se met en colère quand on l’appelle pour manger, il fait du gringue à toutes les jolies jeunes filles et parfois… il se fait la belle avec des dames qui passent à l’improviste ; sous prétexte de leur « montrer » ses fresques, il les emmène un jour ou deux… voir d’autres paysages… En revanche, il ne se dispute plus comme avant avec les gens qui viennent l’embêter quand il travaille ; il laisse sécher ses stylos à encre, sa montre s’arrête et tous les quinze jours il faut la faire réparer, il continue à porter ses gros godillots de mineur (ça fait trois ans qu’il porte toujours les mêmes). Il est hors de lui quand il perd ses clés de voiture, qui généralement réapparaissent dans sa propre poche ; il ne fait pas le moindre exercice, ne s’expose jamais au soleil ; il écrit des articles qui, en général, déclenchent un « foin » de tous les diables ; il défend bec et ongles la IV e Internationale et il est enchanté que Trotski soit ici. Te voilà au courant des principaux détails… Comme tu pourras le constater, j’ai peint, ce qui est déjà un progrès car jusqu’à présent j’avais passé ma vie à aimer Diego et à délaisser mon travail. Aujourd’hui, non seulement je continue à aimer Diego mais, en plus, je me suis sérieusement mise à peindre mes petits personnages. Quant aux péripéties d’ordre sentimental et amoureux… il y en a eu, mais qui n’ont pas dépassé le stade de l’amusette… Cristi a été très malade ; elle a été opérée de la vésicule biliaire, c’était moins une, on a bien cru qu’elle allait y passer, mais heureusement l’opération s’est bien déroulée et même si elle ne se sent pas très bien, elle va beaucoup mieux… Elle vit un peu dans… les nuages. Elle continue à poser des questions… Qui est Fuente Ovejuna ? Quand elle regarde un film, c’est un vrai miracle si elle ne s’endort pas, mais à la fin du film elle demande toujours : bon, mais qui est le traître ? Qui est l’assassin ? Qui est la jeune fille ? Bref, elle ne comprend ni le début ni la fin, et au milieu du film, en général, elle sombre dans les bras de Morphée… Ses gamins sont mignons comme tout. Toñito (le philosophe) est chaque jour plus intelligent et il construit déjà des tas de choses avec son « mécano ». Isoldita est déjà en troisième année ; elle est craquante et espiègle comme pas deux. Adriana, ma sœur, et Veraza, son blondinet de mari (ceux qui sont allés avec nous à Ixtapalapa), se souviennent de toi et de Boit et vous passent le bonjour…
Bon, ma belle, j’espère que grâce à cette lettre exceptionnelle tu m’aimeras de nouveau, ne serait-ce qu’un peu, jusqu’à ce que petit à petit tu m’aimes comme avant… Répondez à mon amour en m’écrivant une puissante missive digne de mettre en joie mon si triste cœur qui bat pour vous d’ici et d’une force bien plus grande que vous ne pouvez l’imaginer, écoutez-moi ça : TIC-TAC TIC-TAC TIC-TAC TICTAC ! La littérature a bien du mal à représenter les bruits intérieurs, à rendre compte de leur volume, ce n’est donc pas ma faute si au lieu de résonner mon cœur ressemble à une horloge déréglée, but… you know what I mean, my children ! And let me tell you, it’s a pleasure.
Plein de baisers pour vous deux, dans mes bras de tout mon cœur, et s’il vous en reste un petit peu, partagez-les entre Jay, Jim, Lucienne, Dimy et tous mes copains de toujours. Embrasse bien fort ta mère, ton père et la petite qui m’aimait tellement.
Votre bien-aimée saleté de chicua
Friduchín
Lettre à Julien Levy
Mexico, 1938
(…) Je n’avais jamais pensé à la peinture avant 1926, quand j’ai dû rester alitée suite à un accident de la route. Je m’ennuyais beaucoup dans mon lit, j’étais plâtrée (je m’étais fracturé la colonne vertébrale et d’autres os), alors j’ai décidé de faire quelque chose. J’ai chipé de la peinture à l’huile à mon père et ma mère m’a fait fabriquer un chevalet spécial, parce que je ne pouvais pas m’asseoir. Voilà comment j’ai commencé à peindre.
Lettre à Alejandro Gómez Arias
New York, le 1 er novembre 1938
Alex, c’est aujourd’hui le jour de mon exposition et je veux te dire quelques petites
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