Lettres
jour. Pourtant je travaille. J’ignore comment et pourquoi. Tu sais qui est venu à Mexico ? Cette horrible Ione Robinson. Elle doit se dire que le terrain est à prendre et qu’il va falloir jouer des coudes… ! Je ne vois personne. Je passe presque toutes mes journées à la maison. Diego est venu l’autre jour, pour tenter de me convaincre que personne au monde ne m’arrive à la cheville ! Rien que du pipeau, mon gars. Je ne peux pas lui pardonner, un point c’est tout.
Ta Mexicaine,
Frida
Toute mon affection à Mam.
Comment se présente cette nouvelle année ? Comment va Joe Jings ? Comment va New York ? Comment va le La Salle ? Et la femme que tu passais ton temps à viser ?
*
Coyoacán, 6 février 1940
Nick, mon chéri,
j’ai reçu les dollars, encore merci pour ta gentillesse. Miguel emportera un grand tableau pour l’exposition du Modem Museum. J’enverrai l’autre grand à Julien. Il m’a proposé une exposition pour le mois de novembre prochain, alors je travaille dur. En plus, j’ai sollicité une bourse Guggenheim, Carlos Chávez me donne un coup de main. Si ça marche, je pourrai aller à New York en octobre-novembre pour mon exposition. Je n’ai pas fait parvenir à Julien les petits tableaux car il vaut mieux en envoyer trois ou quatre d’un coup, plutôt qu’un par un.
Et toi ? Pas un mot sur ce que tu fiches. J’imagine que tes projets concernant Mexico sont tombés à l’eau. Pourquoi ? Tu as quelqu’un d’autre ? Elle est chouette ? Je t’en prie, raconte-moi un peu. Dis-moi au moins si tu es heureux et ce que tu as l’intention de faire dans les mois à venir ou l’année prochaine.
Comment va la petite Mam ? Embrasse-la pour moi.
J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer : je me suis coupé les cheveux, j’ai l’air d’un marin. Bon, ça finira bien par repousser, du moins je l’espère !
Comment va Arija ? Et Lea ? Tu as vu Mary et Sol ?
Écris-moi, s’il te plaît, un soir, au lieu de lire Joe Jings, souviens-toi que j’existe à la surface de cette planète.
Bien à toi,
Frida
Lettre à Sigmund Firestone et à ses filles (88)
15 février 1940
Chers Sigy, Natalie et Alberta,
Vous allez penser, j’en suis sûre, que je suis vraiment méchante comme fille, car je vous avais promis d’écrire et je ne l’ai pas fait mais, je vous en prie, pardonnez-moi. J’ai eu quelques soucis, ma sœur a été très malade et par-dessus le marché j’ai dû travailler comme un forçat pour finir un grand tableau destiné à l’exposition surréaliste organisée ici ; je vous supplie donc d’excuser ma grossièreté.
Diego m’a dit que tu lui avais écrit une lettre très aimable, où tu lui racontais qu’Alberta va se marier. Il voulait te répondre, mais il dit que son anglais est trop mauvais et il a honte d’écrire. D’après moi, c’est encore pire que ça, mais bref, il m’a demandé de vous parler en son nom… (C’est la seule raison pour laquelle je n’ai pas répondu avant à ta si gentille lettre.) Toutes nos félicitations, de ma part et de celle de Diego. (…)
Vous savez quoi ? J’ai presque fini l’autoportrait (89) que vous m’avez si gentiment demandé. (…) Diego est de meilleure humeur maintenant que lorsque vous l’avez vu. Il mange bien et dort bien et il met du cœur à l’ouvrage (90) . Je le vois très souvent mais il ne veut plus habiter sous le même toit que moi, parce qu’il aime être seul, et puis il dit que je veux toujours mettre de l’ordre dans ses papiers et dans ses affaires, alors qu’il aime les avoir en désordre. Quoi qu’il en soit, je prends soin de lui du mieux que je peux, même de loin, et je l’aimerai toute ma vie durant, ne lui déplaise. Il a peint deux tableaux pour l’exposition surréaliste, tellement beaux que je n’ai pas les mots pour vous les décrire. Je pense que l’un d’entre eux sera exposé au Modern Museum de New York, du coup vous pourrez le voir là-bas.
Je voudrais vous demander un service : aurez-vous l’amabilité de m’envoyer une photo de vous (et aussi de Mme Firestone, pour avoir toute la famille auprès de moi) ? Vous savez que vous êtes tout près de moi, même sans photos, mais ce serait quand même bien bien mieux pour moi de les avoir.
S’il vous plaît, écrivez-moi.
Excusez mon anglais horrible, mais même avec mes mots atroces, je veux vous dire que je vous aime
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