Lettres
banane. Raconte-moi ce que tu fais, essaie de ne pas passer trop d’heures à travailler, amuse-toi un peu, au train où va le monde, on n’est pas sortis de l’auberge, alors autant profiter de la vie avant de lui dire au revoir. Je n’ai pas trop pleuré sur la mort d’Albert Bender, vu que les Art Collectors m’emmerdent, je ne sais pas pourquoi, mais l’art en général me fait de moins en moins grimper aux rideaux, sans parler de ces gens qui, sous prétexte qu’ils sont des « connaisseurs », se targuent d’être des « élus de Dieu » ; bien souvent, je m’entends mieux avec les charpentiers, les cordonniers, etc., qu’avec cette meute de crétins soi-disant civilisés, beaux parleurs, qu’on appelle des « gens cultivés ».
Au revoir, frangin, je te promets de t’écrire une lettre bien longue où je te parlerai de mon pied, si jamais ça t’intéresse, et où je te raconterai d’autres ragots ragoûtants sur Mexico et ses habitants. Je t’envoie toute ma tendresse et te souhaite d’être en bonne santé et de bonne humeur.
La Malinche. Frida.
*
Coyoacán, 18 juillet 1941
Mon très cher petit docteur,
Qu’est-ce que tu dois penser de moi… Que tu aurais mieux fait de pisser dans un violon. Pas même un merci pour tes lettres, ni pour le petit enfant (104) qui m’a tellement fait plaisir – pas un mot durant des mois et des mois. Tu auras bien raison de m’envoyer… faire une balade. Mais sache que si je ne t’écris pas, je ne t’oublie pas pour autant. Tu sais que j’ai un énorme défaut, et c’est d’être flemmarde comme pas deux pour ce qui est d’écrire. Mais tu peux me croire : j’ai beaucoup pensé à toi et toujours avec autant de tendresse.
Je vois très peu Jean. La pauvre, elle n’a pas réussi à trouver un boulot stable. Elle travaille pour une usine : elle fait des copies de jouets en plâtre pour fabriquer des moules – ça paie mal et, surtout, je ne crois pas que ce soit comme ça qu’elle s’en sortira. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’il valait mieux qu’elle mette les bouts pour la Californie, mais même à coups de pied au cul elle refuse d’y aller. Elle est toute maigre et très nerveuse parce qu’elle manque de vitamines. Celles qu’on trouve ici sont hors de prix, elle n’a pas de quoi se les payer. Elle dit que c’est difficile pour toi de lui en envoyer, à cause de la douane ou de je ne sais quel problème. Si jamais quelqu’un vient par ici et que tu peux lui en faire parvenir quelques-unes, ça lui fera le plus grand bien car, comme je te l’ai dit, elle est dans un sale état et dans la mouise.
Côté arpion, ou patte, ou pied, je vais mieux. Mais mon état général est mer… itant. Je crois que c’est parce que je ne mange pas assez et que je fume beaucoup. Étrangement, j’ai banni les cocktails, petits ou grands. J’ai mal au ventre et j’ai toujours envie de roter. ( Pardon me, burp !!) Une digestion à coucher dehors. Et par-dessus le marché une vraie soupe au lait : je prends la mouche pour un rien, ou plutôt je prends le mors aux dents, bref, je monte sur mes grands chevaux... S’il existe un remède pour calmer ce genre d’ardeurs, faites-le-moi savoir, docteur, je verrai bien si ça me fait effet. Quant à la peinture, disons que ça avance. Je peins peu mais je sens que j’apprends petit à petit, je suis de moins en moins gourde. On veut que je peigne quelques portraits pour la salle à manger du Palais national (cinq en tout) : les cinq femmes mexicaines qui se sont le plus distinguées dans l’histoire de ce peuple. Me voilà donc en train de faire des recherches sur le genre de cafards qu’ont pu être ces fameuses héroïnes, la tronche qu’elles se payaient et comment elles s’en sortaient psychologiquement, histoire que sur mes barbouillis on puisse les distinguer des vulgaires femelles du Mexique, quoique, entre nous soit dit, on trouve parmi ces dernières des spécimens plus intéressants et autrement plus épatants que les dames en question. Si parmi tes curiosités tu trouves un bouquin qui parle de dame Josefa Ortiz de Domínguez, de dame Leona Vicario, de… de Sor Juana Inés de la Cruz, rends-moi un service : envoie-moi quelques informations ou photos, gravures, etc., de l’époque et de leurs très nobles trombines. Grâce à ce travail, je vais gagner un peu de « blé » qui me servira à me payer quelques « babioles » plaisantes à
Weitere Kostenlose Bücher