Lettres
vous tournez à gauche, vous continuez sur un pâté de maisons et, juste en face d’une grosse usine que vous allez apercevoir tout de suite, vous tomberez sur le lavoir.
Mille mercis par avance si jamais vous venez et pour m’avoir supportée tout au long de cette lettre. Mes amitiés,
Frida
Lettre à Ella et Bertram D. Wolfe
Coyoacán, 1944, Mexique
Mes bien chers Boitito et Ella,
Quand vous recevrez cette singulière missive vous vous direz que j’ai ressuscité dans ce traître monde, ou que je me la jouais Madame est occupée, vu que je n’ai même pas pris la peine de « tisser un lien » depuis la dernière fois qu’on s’est zyeutés à New York, il y a trois ans de ça. Pensez donc ce que vous voudrez ; j’ai beau ne pas avoir écrit un quart de ligne, vous avez toujours été présents dans mes pensées.
Je veux vous souhaiter que l’année 1944 (bien que ce chiffre me tape sur les nerfs) soit pour vous deux la plus plaisante et la plus agréable de celles que vous avez vécues et que vous vivrez jamais (je verse dans la grandiloquence).
Bon, les enfants, c’est parti pour les questions : Comment va la santé ? Quel genre de vie vous menez ? Quel genre de « beau linge » vous fréquentez et avec qui vous discutez de temps en temps ?
Vous rappelez-vous qu’à Coyoacán il existe une dame de bonne famille, appréciée de tous, qui n’a pas encore cassé sa pipe et qui garde espoir de revoir un jour vos chères trombines sur cette terre bien-aimée qui s’appelle Tenochtitlan ? Si tel est le cas, please , écrivez vite pour raconter all your vie, étape par étape, pour qu’enfin mon cœur cède à l’illusoire joyeuserie.
Après les repousailles épisode numéro deux dont vous avez déjà entendu parler, je vais vous raconter « sommairement » (ce mot vaut bien 100 pesos) et sans trop détaillader comment je vais :
Santé : couci-couça, ma colonne résistera bien encore à deux ou trois chocs.
Amours mieux que jamais, grâce à une entente mutuelle entre mari et femme, sans que la liberté qui échoit à chacun des deux conjoints ne soit en aucun cas bafouée ; élimination totale des crises de jalousie, des disputes violentes et des malentendus, à grands renforts d’une dialectique fondée sur l’expérience passée. Voilà qui est dit !
« Fric » : faible quantité, presque rien, mais ça suffit aux besoins les plus urgents : pitance, habillement, frais divers, cigarettes et, de temps à autre, une bonne vieille bouteille de tequila Cuervo à 350 pesos (le litre).
Travail : bien trop à mon goût. Figurez-vous que je fais la maîtresse dans une école de peinture (c’est bon pour le statut mais pas pour la santé). Je commence à huit heures du matin. Je repars à onze heures, je mets une demi-heure pour parcourir la distance qui sépare l’école de ma maison = midi. Je fais vaguement le nécessaire pour que l’on vive à peu près « décemment », pour qu’il y ait de quoi manger, des serviettes propres, du savon, une table dressée, etc. = deux heures de l’après-midi. Je casse la croûte, puis vient l’ablution des moufles et des charnières (les dents, quoi, la bouche).
Il me reste l’après-midi pour me consacrer à ma jolie peinture, j’enchaîne les barbouillages, vu que dès que j’en ai fini un, je dois le vendre pour avoir de quoi joindre les deux bouts à la fin du mois. (Chacun des époux contribue à l’entretien du ménage.) En nocturnal, je me barre au ciné ou dans un foutu théâtre, avant de rentrer m’écrouler comme une souche. (Parfois je suis prise d’insomnie et là, je l’ai dans le c… olimateur !!!!)
Liqueur : grâce à ma volonté de fer j’ai pu réduire les quantités de liqueur ingurgitables, en me limitant à deux « ver… tigineuses larmes » by day. Il peut arriver, en quelques rares occasions, que l’ ingestion augmente de volume et se transforme comme par magie en une « cuite » accompagnée de sa traditionnelle « gueule de bois » matinale ; mais ce sont des cas isolés et dépourvus d’efficacité.
Pour le reste
des choses qui
arrivent à tout le monde… Après dix-neuf ans, l’amour paternel de don Diego est ressuscité, avec comme conséquence le fait que la petite Lupita, so called Picos, habite avec nous depuis deux ans, parce que l’explosion a fini par avoir lieu, celle de la bombe à retardement de sa mother ; la grande
Weitere Kostenlose Bücher