Lettres
je trouve le tableau très incomplet et assez différent de ce que devrait être l’interprétation de l’analyse si merveilleuse de Freud. Mais bon, plus moyen d’enlever ou d’ajouter quoi que ce soit, alors je vous dirai ce que j’ai peint tel quel, ce que vous pouvez voir sur le tableau.
Bien sûr, le sujet précis est Moïse ou la naissance du héros . Mais j’ai généralisé à ma façon (une façon plutôt confuse) les faits ou les images qui m’ont le plus impressionnée à la lecture du livre. Vous pourrez apprécier « ma contribution » et me dire si j’ai fait fausse route ou pas.
Ce que j’ai voulu exprimer le plus intensément, le plus clairement, c’est que la raison pour laquelle les gens ont besoin d’inventer ou d’imaginer des héros et des dieux est purement et simplement la peur. La peur de la vie et la peur de la mort. J’ai commencé par peindre Moïse enfant. ( Moïse , en hébreu, signifie « sauvé des eaux », et en égyptien, mose veut dire « enfant ».) Je l’ai peint comme il est décrit dans maintes légendes, abandonné dans un couffin, en train de flotter sur les eaux d’un fleuve. D’un point de vue plastique, j’ai essayé de faire en sorte que le couffin, recouvert d’une peau de bête, rappelle le plus possible une matrice, car selon Freud le panier est la matrice exposée et l’eau représente la source maternelle donnant naissance à un enfant. Pour centraliser ce fait, j’ai peint le fœtus humain dans sa dernière étape, à l’intérieur du placenta. Les trompes, pareilles à des mains, sont tendues vers le monde.
De chaque côté de l’enfant déjà créé, j’ai placé les éléments de sa création, l’œuf fécondé et la division cellulaire.
Freud analyse très clairement, mais sous une forme trop compliquée pour mon caractère, ce fait de la plus haute importance : Moïse n’était pas juif mais égyptien. Pour ma part, dans ce tableau, je n’ai pas trouvé le moyen d’en faire un Juif ou un Égyptien, je l’ai juste peint comme un gamin apte à représenter aussi bien Moïse que tous ceux qui d’après la légende auraient connu les mêmes débuts pour ensuite devenir des personnages importants, des guides pour leur peuple, c’est-à-dire des héros . (Plus clairvoyants que d’autres, voilà pourquoi je lui ai mis un « troisième œil ».) C’est le cas de Sargon, de Cyrus, de Romulus, de Pâris, et cetera.
L’autre conclusion fort intéressante de Freud est que, n’étant pas juif, Moïse a donné au peuple choisi par lui pour être guidé et sauvé une religion, qui n’était pas non plus juive mais égyptienne : c’est Amenhotep IV, ou Akhenaton, qui renouvela le culte d’Aton, le culte du Soleil, qui trouve ses racines dans la très ancienne religion de On (Héliopolis).
J’ai donc peint le Soleil comme le centre de toutes les religions, comme premier dieu et comme créateur et reproducteur de la vie .
Comme Moïse, il y a eu et il y aura quantité de « grosses pointures » pour transformer les religions et les sociétés humaines. Disons qu’ils sont comme des messagers entre les gens qu’ils commandent et les « dieux » inventés par eux pour pouvoir les commander.
Ces « dieux », il y en a un « paquet », comme vous le savez. Naturellement, je n’ai pas pu tous les faire tenir et j’ai disposé, de part et d’autre du Soleil, ceux qui, bon gré mal gré, ont un lien direct avec le Soleil. À droite, ceux de l’Occident, et à gauche, ceux de l’Orient.
Le taureau ailé assyrien, Amon, Zeus, Osiris, Horus, Jéhovah, la Vierge Marie, la Divine Providence, la Sainte Trinité, Vénus et… le diable.
À gauche, l’Éclair, la Foudre et la trace de la Foudre, c’est-à-dire Huracán, Cuculcán et Gukumatz, Tlaloc, la magnifique Coatlicue, mère de tous les dieux, Quetzalcóatl, Tezcatlipoca, la Centéotl, le dieu chinois Dragon et l’hindou Brahmâ. Il manque un dieu africain, car je n’en ai trouvé nulle part, mais on peut lui faire une petite place.
Je ne peux pas vous dire grand-chose sur chacun d’entre eux car je croule sous l’ignorance de leurs origines, de leur importance, et cetera.
Après avoir peint dans leurs ciels respectifs les dieux que j’avais pu caser, j’ai voulu séparer le monde céleste de l’imagination et de la poésie du monde terrestre de la peur et de la mort, alors j’ai peint les squelettes, l’un humain et l’autre animal, que vous pouvez
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